L'Institut des libertés publie,
sous la signature de Thierry Guinhut, un article qui pose la question du
traitement qu'il conviendrait de réserver à certains comportements dans une
société libérale.
http://institutdeslibertes.org/2012/05/05/de-quelques-libertes-liberales-homosexualite-drogues-prostitution-immigration-en-question/
Si souvent les auteurs libéraux
traitent la société comme un ensemble homogène, dans laquelle la confiance de
tous envers tous est présupposée, les pratiques "à la marge" ont au
moins le mérite de tester la solidité du modèle libéral.
Il est aisé d'être libéral dans
un village suisse où tout le monde se connaît, où chacun respecte des règles et
des traditions qui n'ont même plus besoin d'être rappelées parce qu'elles sont
elles-mêmes héritées de siècles de vie commune. Il est plus difficile de se
proclamer libéral lorsque l'on est le dernier locataire "autochtone"
d'un immeuble HLM occupé entièrement par des nouveaux arrivants qui, en raison
de leur écrasante majorité, ne voient plus aucun intérêt à adopter les
comportements, la culture, la religion, ni même la langue, du pays de ce
dernier autochtone, et qui ont pourtant fait de son pays (et donc de sa
culture, au moins économique) la destination de leurs rêves de bien-être
matériel.
L'immigration vue par le
libéralisme est le dernier sujet analysé par l'article, qui reconnaît
qu'Etat-providence et immigration libre sont difficilement compatibles. Certes,
il est difficile de justifier qu'un immigrant puisse, dès son arrivée,
prétendre à bénéficier d'un système de secours mutuel construit pour des
participants qui ont constitué les réserves par de longues années de
cotisations, et donc de privations. Il serait tout aussi inacceptable de
contraindre les souscripteurs d'assurances incendie en Europe de payer pour les
sinistres survenant en Afrique, et pour lesquels les victimes ne seraient pas
elles-mêmes assurées. Très rapidement, les Européens cesseraient de payer leurs
primes et la "solidarité par la contrainte" n'aurait pour effet que
de généraliser la misère, pas la richesse.
Selon moi, le seul point de vue
libéral authentique sur le sujet de l'immigration devrait partir de l'individu
isolé. Celui-ci construit un réseau de relations familiales, professionnelles,
personnelles, dans une totale liberté. Accepter dans ces différents cercles de
nouveaux membres est laissé à sa seule appréciation. Aucun auteur libéral n'a
jamais affirmé que quiconque devait accepter un nouvel ami, un nouveau
partenaire, simplement parce que l'autre l'exige. Ce qui est vrai au niveau
individuel doit l'être également au niveau d'une collectivité. Ce n'est donc
pas une simple question de "réciprocité", mais une question beaucoup
plus fondamentale, réaffirmant au niveau collectif la liberté totale d'accepter
ou de refuser un nouveau venu. Mais qu'en est-il si l'on se place du côté du
migrant? De même que je n'ai aucun droit de m'emparer d'un objet appartenant à
un autre simplement parce que je le désire ou que j'en ai besoin, je n'ai aucun
droit d'entrer dans la maison d'un autre simplement parce que j'en ai envie. Je
le dis d'autant plus facilement que j'ai été un immigré toute ma vie, mais
toujours "invité payant". Une vue authentiquement libérale de
l'immigration serait donc que "nul n'a le droit de pénétrer dans un pays
qu'il n'y ait été autorisé, et sans y contribuer au moins à son propre
entretien et à celui de ses proches".
Hayek n'écrivait pas autre chose
dans "Droit, législation et liberté": "La liberté de migration
est l'un des principes - et des plus admirables - du libéralisme. Mais cela
doit-il généralement donner à l'étranger le droit de s'établir dans une
localité où il n'est pas le bienvenu? A-t-il celui d'obtenir un emploi ou d'acquérir
une maison si aucun résident ne consent à lui donner du travail ou à lui vendre
un logis? Il est certain qu'il a le droit d'accepter un emploi ou d'acheter une
maison si quelqu'un le lui offre. Mais les habitants ont-ils personnellement un
devoir d'en offrir?"
Poser la question, c'est y
répondre...
Un autre point repris dans
l'article cité est celui de la prostitution. Murray Rothbard en faisait état
dans son "manifeste libertarien", "For a New Liberty" de
1973. Certes, mais il prenait soin de définir la prostitution comme la
"vente volontaire d'un service" ("a voluntary sale of a labor
service"). Et c'est là le coeur du problème: cette vente est-elle
"volontaire" et comment s'en assurer? Lorsque des étrangères en situation
irrégulière sont soumises à un chantage précisément en raison de cette
situation, la nature du "service" devient secondaire, et le réseau
criminel qui exerce ces pressions doit être traité comme il le mérite.
Le troisième point (traité en
premier lieu dans l'article) est la question de l'homosexualité, et le regard
que pourrait avoir le libéralisme sur ces préférences, personnelles par
définition. Il serait difficile de trouver un auteur qui préconiserait une
réprobation de ce qui doit être laissé à l'appréciation de chacun. Mais la
manière dont la société doit aborder cette question peut différer. L'auteur de
l'article pose les questions sans y répondre ("faut-il?",
"serait-ce?", etc...). La question centrale (et celle qui est souvent
mise en avant par les homosexuels eux-mêmes) et de savoir si la société doit
étendre aux couples de même sexe les avantages jusqu'à présent (oserait-on
écrire "depuis toujours") réservés aux couples hétérosexuels. Ces
"avantages" vont du traitement préférentiel en matière d'assurances,
de logement, d'héritage, etc., l'adoption étant venue s'y ajouter plus
récemment. Il s'agit donc bien d'avantages. Qu'en serait-il si la société
reconnaissait uniquement l'individu isolé comme le sujet de tous les droits? Un
partenaire homosexuel n'aurait alors ni plus ni moins de droits qu'une autre
personne. Les droits particuliers attachés à un groupe ayant disparu, il est
certain que les revendications n'auraient plus lieu d'être.
Comme l'écrivait Ayn Rand, dans
"La Vertu d'égoïsme": "Un groupe, comme tel, n'a pas de droits.
En se joignant à un groupe, un homme ne peut acquérir de nouveaux droits ni
perdre ceux qu'il possède déjà. Le principe des droits individuels est le seul
fondement moral de tout groupe ou association. Un groupe qui ne reconnaît pas
ce principe n'est pas une association, mais un gang ou une bande de
brigands". Changez le mot "groupe" par "mariage" et
vous aurez une réponse "libérale" sur l'homosexualité.
Enfin, "last but not
least", l'auteur évoque la question des drogues, et s'interroge sur l'opportunité
de libéraliser la vente de drogues, tout en l'intégrant dans des circuits
commerciaux "en surface" pour sortir ce commerce des réseaux mafieux
souterrains. Certes, cette position est conforme à la philosophie libérale, et
elle gagne en crédibilité à mesure que le maintien des interdictions, et la
lutte contre tout trafic, se sont avérés incapables d'éradiquer totalement le
phénomène, ni même de l'endiguer. Mais un point devrait être élucidé: une
société authentiquement libérale ne peut ignorer les effets destructeurs de la
plupart des drogues sur leurs utilisateurs. La réponse à apporter à cette
destruction n'est pas sans rappeler l'obligation morale, pour tout un chacun,
de prêter assistance à une personne en danger. S'il devait être mis en place,
un marché libre de la drogue devrait aussi inclure une forme de soins, visant à
libérer les utilisateurs de ce qui n'est souvent qu'une servitude et une
destruction.
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