L'élection, en France, d'un
président qui croit que l'État a non seulement le pouvoir, mais aussi le
devoir, de créer de la croissance par la loi et les décrets, sonne le glas des
libertés économiques - et de la croissance elle-même. La chancelière allemande,
qui a passé une partie de son existence dans ce qui était la "République
Démocratique Allemande", a pu constater les dégâts que causent de telles
croyances en la toute puissance des bureaucraties. La France, il est vrai, a
toujours flirté avec des rêves de totalitarisme bureaucratique et l'utopie
communiste. A la fin de la dernière guerre, il s'en est fallu de peu que la
France ne choisisse de vivre de l'autre côté du rideau de fer. Il est
d'ailleurs vraisemblable, si les résistants communistes avaient réussi à faire
pencher la balance vers une soumission à Moscou et aux thèses marxistes, que
les français auraient aujourd'hui moins de socialisme et bien plus de libertés,
puisqu'ils auraient définitivement abandonné le "paradis" socialiste,
comme l'ont fait les Polonais, les Slovaques et tous ceux qui ont vécu enfermés
dans ce "paradis".
Dans toute sa campagne, le nouveau
président s'est targué de sa capacité de contraindre le gouvernement allemand à
renégocier (c'est-à-dire à abandonner) le pacte de stabilité qui conditionne
l'appartenance à la zone euro, et qui garantissait jusque maintenant que la
monnaie commune ressemblerait plus au défunt Deutsche Mark qu'aux anciennes
monnaies méditerranéennes, franc compris.
Charles de Gaule avait ironisé sur les économistes, en plaisantant qu'un expert de cette discipline ne pouvait être qu'anglo-saxon. Le général ne semblait pas penser qu'un français puisse être un économiste. Certes il existe autant, sinon plus, d'erreurs et de charlatans dans cette profession que dans d'autres. Mais les erreurs deviennent rapidement évidentes. Les fausses prescriptions et l'authentique mauvaise foi sont impuissantes face à la réalité. Nous examinerons quelques-unes des prescriptions du docteur Hollande.
Augmenter encore la pression fiscale
Le catalogue des mesures que le
nouveau président se propose d'infliger à la France ressemble plus à ces
remèdes du Docteur Diafoirus de Molière: "saignare, ensuita purgare",
sauf qu'ils seraient appliqués non pas à la partie malade mais à la partie
saine. C'est l'État qu'il faut saigner, puis purger, et non pas le secteur
privé. Etudes après études ont démontré que toute augmentation de la pression
fiscale réduit le produit intérieur brut [1]. Pour chaque augmentation de 1% de la
prédation fiscale, le PIB réel diminue de 2 à 3%. Cette baisse de la production
de biens et de services entraîne évidemment une réduction de l'emploi et une
augmentation du chômage.
Le choix est donc simple: augmenter
les revenus de l'État réduit le total des revenus du pays, et donc, plus que
proportionnellement, les revenus du secteur privé. La base sur laquelle l'État
prélève sa part est donc à nouveau réduite, le contraignant à de nouvelles
ponctions, dans un infernal et suicidaire cercle vicieux.
Créer un banque publique de développement
L'une des propositions du nouveau chef d'Etat de la France socialiste est de relancer la croissance grâce au financement d'investissements par une banque publique de développement qu'il se propose de créer. Cette proposition est répétée assez souvent pour qu'il vaille la peine de s'y attarder. Aucune précision n'est donnée, à ce stade, sur l'origine des fonds qui serviront d'une part à constituer le capital de la banque et d'autre part à fournir les ressources nécessaires à l'octroi de prêts.
Pour les fonds propres, soit l'Etat utilise des ressources fiscales pour libérer ce capital, soit il lance une souscription. Dans ce second cas, il est vraisemblable qu'il contraindra des entreprises publiques, ou des banques, à mettre la main à la poche. Comme dans le cas d'une souscription, l'Etat prélève donc des moyens existants au détriment d'autres projets qui auraient été financés sans son intervention, qui auraient eu une rentabilité plus grande et qui auraient donc contribué plus efficacement à cette "relance" tant recherchée, si l'Etat avait enfin consenti à abattre les obstacles qu'il a lui-même érigé pour décourager l'investissement. L'Etat peut aussi ne libérer qu'une part du capital souscrit, mais dans ce cas il engagerait la responsabilité des contribuables en cas de faillite.
Les ressources de cette banque publique devraient provenir d'emprunts sur les marchés, sauf bien entendu si monsieur Hollande parvient à imposer l'idée d'une souscription obligatoire, sous forme d'une ponction autoritaire de l'épargne, un procédé habituel en France, qui ne respecte plus depuis longtemps le droit de propriété. Mais ces emprunts par une banque publique entreraient en compétition avec les besoins de financement des entreprises réellement productives, qui ne peuvent concurrencer la signature de l'État (que ces entreprises contribueront cependant à honorer!).
Mais l'essentiel des difficultés résidera dans le processus de décision pour l'octroi des prêts. L'instinct naturel d'un socialiste, énarque de surcroît, c'est-à-dire convaincu de la supériorité du jugement d'un fonctionnaire sur celui du marché, le porte à peupler de ses semblables les instances dirigeantes d'un organisme de prêt public. L'essentiel des ressources seront donc orientées vers d'autres entreprises publiques, des favoris du régime, des régions ou des initiatives dont le potentiel est inscrit non dans la réalité économique mais dans un diktat planificateur.
La Banque Mondiale, elle-même un organisme public de crédit (les Etats sont ses seuls actionnaires), possédant un capital libéré à 10% seulement (les contribuables des Etats-membres garantissent le versement du solde en cas de besoin), a favorisé un temps la création d'institutions publiques de crédit. Peu survivent aujourd'hui, parmi toutes celles qui ont été créées dans les années 1960 et 1970.
Entraver la croissance des entreprises
Le Président Hollande peut
parfaitement ignorer ce que le candidat Hollande a avancé comme propositions
pour "relancer la croissance". Il est difficile, et même douloureux,
pour un socialiste de concéder que l'entreprise privée a un rôle à jouer dans
la vie économique. Pour un socialiste, la relance est nécessairement le
résultat d'une décision administrative, et ne peut résulter de la somme des
initiatives privées. Malgré tous les efforts des socialistes français pour
éradiquer le mal, il reste en France quelques petites entreprises, et le
président Hollande voudrait - au moins dans les apparences - donner
l'impression qu'il leur laisse une chance minime de subsister. Il est vrai
qu'il existe souvent des couples où l'un est fonctionnaire et l'autre petit
artisan. Un fonctionnaire qui verrait la souffrance, les sacrifices, et
l'immense effort de son conjoint pour tenter de subsister malgré les charges,
règlements, prélèvements, tracasseries, contrôles et chantages syndicaux,
risquerait aussi de devenir un suppôt du libéralisme.
Les propositions Hollande contiennent donc une mesure destinée à alléger la charge fiscale de ces toutes petites entreprises. L'impôt sur les bénéfices sera abaissé à 15% pour les "très petites" entreprises. Il sera de 30% pour les PME et de 35% pour les "grandes" sociétés. Il s'agit là de la démonstration d'une incompréhension totale des modes de développement et des mécanismes de la croissance. Ces dispositions introduisent un nouvel effet "cliquet" dans l'arsenal des règles juridiques, réglementaires, syndicales, environnementales, sociales, etc.. qui font que la France est déjà, et depuis longtemps, un pays où les entreprises, volontairement, évitent de se développer au delà d'un certain seuil", et où, en conséquence, l'Etat est un obstacle - le seul obstacle - à la croissance.
Cette illusion que la croissance
peut s'ordonner par l'Etat s'inscrit dans un problème beaucoup plus large de
l'incompréhension du processus de croissance lui-même lorsqu'il s'agit de la
dynamique des entreprises privées. Mr Hollande comprend parfaitement bien, il
est vrai, le processus de la croissance de l'Etat: engager, taxer, ordonner,
interdire. Il est dommage qu'il n'ait pas eu l'occasion d'étudier attentivement
une étude pourtant publiée à Paris, par l'OCDE, et qui s'intéresse à cette
dynamique. Trois conclusions intéressantes sont à tirer de ce document [2].
1) pour les entreprises, la
possibilité de se développer dépend aussi de la possibilité d'engager de
nouveaux salariés, et donc de la flexibilité plus ou moins grande de licencier
qu'ont d'autres entreprises qui seraient, elles, sur le déclin [3]. C'est la "création destructrice" de
Shumpeter.
2) les réglementations
administratives, environnementales et syndicales, entre autres, qui s'imposent
de plus en plus, par paliers successifs, à mesure que la firme grandit, ont
nécessairement pour conséquence d'inciter ces firmes à éviter de se développer
au-delà d'un certain seuil.
3) mais la conclusion la plus
frappante de cette étude, qui compare l'évolution, sur une période de sept
années, de firmes nouvellement créées, est que, sept ans après sa création, une
PME française aura le même nombre de salariés que celui qu'elle avait à sa
création, ou qu'en tout cas elle aura évité de dépasser le "cliquet"
suivant. Par contraste, aux Etats-Unis, une firme continuera son développement
sans entrave, et aura fréquemment, sept ans après sa création, quatre ou cinq
fois plus de salariés qu'au départ.
Ces cliquets s'imposent également
pour d'autres paliers. A partir de 50 salariés en effet, de nouveaux carcans
syndicaux, réglementaires, fiscaux, s'abattent sur les entreprises qui
engageraient ce 50ème employé. Raison sans doute pour qu'il y ait en France 2,4
fois plus d'entreprises de 49 employés que d'entreprises de 50 salariés [4].
L'Etat ne peut d'un côté prétendre promouvoir la croissance et être en même temps, et depuis toujours, le seul obstacle à la croissance des entreprises et de l'emploi productif.
Rémunérer l'inaction plus que le travail
F. Hayek voyait déjà dans la rémunération des chômeurs par des fonds publics, et non pas par une véritable assistance mutuelle, la principale raison de la persistance du chômage. Il n'a malheureusement pas été plus loin dans le raisonnement. En effet, si les cotisations payées par les travailleurs pour "s'assurer" contre les risques de perte d'emploi étaient réellement mutualisées, un effet bénéfique et automatique se mettrait en place: une baisse du nombre de cotisants (en raison de la diminution de l'activité) entraînerait une réduction des ressources disponibles, donc une baisse des indemnités payées aux chômeurs, et automatiquement une plus grande incitation à reprendre une activité productrice et rémunératrice.
Dans ce domaine également, c'est
donc l'intervention de l'Etat qui a perverti une idée excellente au départ (la
mutualisation et donc une correction automatique), pour la transformer en une
gabegie par l'utilisation de ressources fiscales.
Détruire l'épargne pour préserver la gabegie
Malgré la destruction progressive de
l'épargne par l'imposition de taux d'intérêt réels négatifs, la banque centrale
européenne n'a pas réussi à accomplir ce qu'elle prétendait réaliser: permettre
aux États de poursuivre leur gabegie. Elle n'a réussi qu'à appauvrir
massivement les citoyens. Avec une inflation moyenne de 2,8% par an, et une
"rémunération" des dépôts de 1%, les épargnants perdent donc, sur une
masse monétaire de 10.000 milliards d'euros (ce que la BCE nomme
"M3"), la somme pharamineuse de 180 milliards d'euros, et ce chaque
année.
Sous la pression des bureaucraties
nationales, la BCE a donc failli dans le rôle principal qui lui était assigné
par le Traité de Maastricht, à savoir le "maintien de la stabilité des
prix". En fournissant à toutes les banques, de manière indiscriminée,
quelle que soit la solvabilité de leurs actifs, des liquidités à un taux réel
négatif, elle alimente l'inflation, détruit l'épargne, rend les banques
dépendantes de son financement et aggrave l'instabilité du système.
Parodier le Plan Marshall
Pour tenter de faire croire à la
possibilité d'une relance bureaucratique, les Etats ont évoqué la possibilité
de "Plans Marshall", qui imiteraient le programme d'aide à la
reconstruction de l'Europe, mis en place et financé par les Etats-Unis après la
seconde guerre mondiale. La Wallonie, par exemple, en est déjà à son second
"Plan Marshall" intérieur.
Cette récupération d'une initiative américaine, pour en faire une caricature, est une insulte à l'intelligence. Dans le "Plan" original, les ressources étaient fournies par un pays étranger (les Etats-Unis). Dans les ersatz de Plans, les Etats confisquent les moyens à un secteur économique pour les détourner vers d'autres, dont ils ont jugé l'avenir plus prometteur. C'est croire que l'innovation, l'initiative, l'emploi, la richesse, naissent de décrets administratifs et non de l'imagination individuelle et de la liberté d'entreprendre.
Le vrai "Plan Marshall" avait mis à la disposition de la France, entre autres pays, des ressources nouvelles, par moitié sous formes de dons, par moitié sous forme de prêts. La part de la France dans ce Plan était d'ailleurs supérieure à celle de l'Allemagne qui avait pourtant besoin de plus de moyens pour se reconstruire. Le premier prêt de la Banque Mondiale était accordé à la France. Appeler aujourd'hui "Plan Marshall" une redistribution des ressources à l'intérieur d'un même pays, ou à l'intérieur de l'Europe, ne parviendra pas à dissimuler un détournement massif de ressources vers des secteurs favorisés par les bureaucraties elles-mêmes, et dont les chances de succès sont donc nulles.
Un véritable "Plan Marshall" ne pourrait se concevoir que si des ressources extérieures, telles que les réserves de la Chine (près de 3000 milliards de dollars) ou celles des pays producteurs de pétrole (qui ont augmenté de plus de 1000 milliards de dollars en 2011 seulement) pouvaient trouver en Europe des investissements promettant une productivité supérieure à celle qu'ils atteindraient dans leurs pays d'origine. Encore faudrait-il que les décisions soient basées exclusivement sur des critères économiques, et non sur des considérations politiques ou des diktats administratifs.
Il restera toujours le trucage des statistiques
Confronté à un échec de ses
politiques de "croissance", un socialiste cherchera d'abord à nier,
puis à camoufler, et enfin à lancer encore plus d'initiatives de
"relance". Il peut aussi, comme Christina Fernández, veuve de Nestor
Kirchner, et qui a repris à la mort de son mari la direction et la propriété de
l'affaire familiale qu'est devenue l'Argentine, trafiquer les chiffres. Si la
croissance n'est pas au rendez-vous (et comment le pourrait-elle lorsque l'Etat
augmente sa prédation par les impôts et par l'inflation?), il suffit de
"triturer" les chiffres. Si le personnel de l'Office des Statistiques
refuse de se plier à cette mascarade, le gouvernement peut parfaitement
licencier la direction, ce qui suffit généralement pour faire rentrer dans le
rang le reste du personnel, et permettre de camoufler pendant un temps ce qui
finira malgré tout un jour par se révéler un échec.
Conclusion
Il
n'existe aucune contradiction entre un pacte d'austérité et un programme de
croissance. En imposant à l'État une réduction de ses emplois, de ses
dimensions, de ses tâches, cette austérité peut effectivement relancer la
croissance. Pour chaque réduction de 1% de la ponction fiscale de l'Etat, la
croissance pourrait être de 2%. Si, au contraire, l'État continue sa marche
inexorable vers ce modèle de monstre totalitaire qu'ont incarné les dictatures
communistes, il est inévitable, quasi-mathématique, que chaque emploi public
supplémentaire éliminera deux emplois privés, et réduira d'autant la portion,
déjà étriquée, des libertés d'innover et d'entreprendre.
Lorsque
la Chancelière allemande et le nouveau président français confronteront leurs
visions de croissance et d'austérité, il faut souhaiter que le point de vue de
la chancelière prévaudra: l'austérité doit concerner les bureaucraties
nationales et les Etats individuels. Les déficits budgétaires sont en effet
supportés par les contribuables nationaux qui ont élu les politiciens qui ont
creusé ces déficits par une redistribution bureaucratique des richesses à
l'intérieur de ce même pays.
Par
contre, l'Europe pourrait, si elle se basait sur des institutions libérées des
pressions bureaucratiques, soutenir les projets productifs qui pourraient
apporter la croissance, et s'opposer à ceux qui détruiraient de la richesse. Il
est vrai que l'expérience de la BCE, née indépendante et aujourd'hui indécise,
n'incite pas à l'optimisme. Et pourtant, l'Europe ne retrouvera la croissance,
et ses citoyens le bien-être que les Traités leur promettaient, que si les
Etats commencent par s'appliquer à eux-mêmes une véritable cure d'austérité.
-
- - - - - - - NOTES
[1] A titre
d'exemple, citons l'étude publiée par le National Bureau of Economic Research
(NBER) en juillet 2007: "The Macroeconomic Effects of Tax Changes:
Estimates Based on a New Measure of Fiscal Shocks", par C. et D Romer,
NBER Working Paper no 13264.
[2] Scarpetta, S. et al. (2002), “The Role of Policy and Institutions for Productivity and Firm Dynamics: Evidence from Micro and Industry Data”, OECD Economics Department Working Papers, No. 329, OECD Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/547061627526
[3] C'est peut-être ici une occasion de souligner la "cohérence dans l'incohérence" entre deux positions qui, prises séparément, sont absurdes: l'interdiction de licencier et l'immigration libre: plutôt que de permettre un déplacement de la main d'œuvre existante vers des entreprises plus productives, la politique de la gauche extrême est d'interdire tout déplacement intérieur (licenciement et donc embauche), tout en autorisant une immigration sans limites pour faire pression sur les salaires.
[4] Le chiffre est tiré d'un article récent de Bloomberg/Business Week, "Why France Has So Many 49-Employee Companies" du 3 mai 2012.
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