Thomas
Jefferson et Maximilien Robespierre avaient peu de choses en commun, mais ils
étaient tous deux convaincus qu'il ne pouvait y avoir de démocratie lorsque les
citoyens n'avaient rien à perdre. Le premier faisait confiance aux
propriétaires, et sa démocratie dure encore aujourd'hui. Le second a fait des
riches des "exilés", et chacun connaît la fin. Mais qu'en est-il
lorsque nous n'avons plus que nos illusions à perdre?
La crise
financière a révélé que l'inventivité des banques en matière d'ingénierie
financière avait dépassé la capacité des institutions chargées d'évaluer et de
maîtriser les dangers que représentaient de nouveaux produits. Les
contreparties et les risques étaient dilués dans les bilans et répartis hors
des limites de l'intervention d'une seule autorité nationale. Les bureaucraties
nationales et, dans le cas de l'Europe, supra-nationales, ont tenté, et tentent
encore de nous faire croire qu'ils sont capables de résoudre la crise
financière par l'homéopathie. Il serait périlleux d'imaginer que les
initiatives, prises individuellement ou collectivement par les bureaucraties
étatiques, ont aujourd'hui éliminé ou même réduit le danger que représentent
les actifs des banques.
Illusion # 1: sauver les banques pour sauver
l'épargne
Les
politiques ont d'abord tenté de vendre l'idée qu'il était nécessaire de sauver
les banques pour sauver l'épargne. Mais il est contradictoire d'affirmer que
l'on préserve la valeur de l'épargne alors que, dans le même temps, la BCE
inonde le marché de quantités massive de monnaie, tout en maintenant le taux
d'intérêt à un niveau très inférieur à celui de l'inflation. Une inflation de
3% n'est plus compensée que très partiellement par des taux de rémunération
artificiellement bas. Une dépréciation d'un seul pour cent, prive non seulement
l'épargnant de tout rendement, mais le dépouille également de son pouvoir
d'achat dans le futur. Une destruction massive de l'épargne est donc sciemment
organisée, par des Etats prodigues, et à leur seul profit.
Illusion # 2: assimiler fonds propres et
solvabilité
Dans un
manuel qui reste à écrire, et qui s'intitulerait "Le contrôle des banques
pour (et par) les nuls", un chapitre important serait consacré à l'idée
que la solidité des banques dépend du seul niveau de leurs fonds propres. Les
accords dits "de Bâle", I, II et III, sont largement basés sur cette
utopie. Ceci n'a rien d'étonnant, si l'on considère que ces accords sont
négociés, et doivent être acceptés, par les banques elles-mêmes. Le premier des
accords de cette série était relativement simple, et imposait un minimum de
capital calculé en fonction des "risques pondérés" pris par une
banque. Un prêt à l'Etat ne nécessitait aucun capital supplémentaire, tandis
qu'une avance à une entreprise privée exigeait un capital équivalant à 8% du
risque encouru. L'expérience montre pourtant qu'une banque capitalisée à 100%
peut être extrêmement risquée (si elle prête à ses actionnaires, elle n'est
plus qu'une coquille vide), et que la véritable garantie de la solvabilité
d'une banque est la qualité de ses actifs.
Illusion #3: confondre émission de monnaie et
création de richesses
Dans son
plaidoyer pro domo "Le temps des turbulences", Alan Greenspan reconnaît à
demi-phrase une erreur fatale qui a consisté en un maintien de taux d'intérêts
trop bas, et plus généralement d'une politique monétaire laxiste, qui ont
provoqué l'apparition de bulles successives. L'éclatement d'une bulle amenait
la Réserve Fédérale à ouvrir plus large encore les vannes monétaires, et donc à
provoquer la bulle suivante. F. Hayek avait démontré l'inanité de politiques
qui visent à "créer la croissance" par l'injection de monnaie. Le
seul résultat est de "gonfler" artificiellement les secteurs
dépendant de crédits bon marché (l'immobilier et l'Etat ne sont que des
exemples) au détriment d'autres secteurs productifs. Les autorités monétaires
n'ont plus que deux options: permettre à la "bulle" d'éclater (et
donc laisser l'économie retrouver équilibre et potentiel d'expansion) ou poursuivre
dans l'erreur, l'expansion monétaire artificielle et l'inflation. Ce serait une
dangereuse illusion d'imaginer un seul instant que les mille milliards d'euros
prêtés aux banques par la BCE auront pour effet de créer, ni même de préserver,
le moindre emploi, la plus petite entreprise, la plus insignifiante découverte.
Illusion # 4: restaurer la confiance sans
assainir
Une
dangereuse illusion serait de croire que les mesures transitoires prises par la
BCE, et qui n'ont d'autre but que de préserver un dangereux statu quo, seraient
suffisantes pour assainir les marchés financiers. Le trillion d'euros prêté aux
banques sans contrepartie n'a pas restauré la confiance sur les marchés
interbancaires. Ces marchés sont pourtant essentiels pour assurer la liquidité
des banques, pour lesquelles il a toujours été impossible de faire coïncider
très exactement les échéances de leurs ressources avec celles de leurs actifs.
Les banques ignorent donc toujours si les autres institutions avec lesquelles
elles sont amenées à traiter ne sont pas en péril. Il en est de même,
vraisemblablement, des organes de supervision nationaux, et de la BCE
elle-même. La confiance ne pourra être rétablie, et les banques ne pourront
reprendre leur rôle essentiel d'intermédiation financière, qu'à la condition
que les banques aux actifs "pourris" se voient retirer leurs
licences, et que l'épargne soit enfin orientée vers les institutions solvables.
Illusion # 5: croire qu'intégrer les marchés
suffit à optimiser l'affectation des ressources
Les
concepteurs de l'euro avaient annoncé qu'une monnaie commune aurait pour
résultat d'intégrer les marchés financiers européens. Mais l'intégration a
porté plus sur les éléments négatifs que sur les effets positifs. Une
intégration "positive" aurait permis d'orienter une épargne vers les
investissements les plus productifs. Encore faut-il qu'il y ait une épargne. Si
des gouvernements tels que celui des Pays-Bas ont exigé de leurs citoyens des
efforts considérables pour constituer les réserves nécessaires pour assurer le
paiement des retraites, d'autres ont choisi l'inaction, et de continuer à
transformer une épargne potentielle (les cotisations d'aujourd'hui) en
consommation immédiate (les retraites). Il serait inéquitable et même
suicidaire de gaspiller l'épargne de la fourmi néerlandaise pour le financement
des déficits de la cigale française. Il en est de même de l'épargne des ménages
allemands, qui n'est plus affectée au maintien de la compétitivité des
entreprises germaniques, mais au financement des déficits publics permanents
des pays "méditerranéens", et donc systématiquement détruite.
Illusion # 6: prétendre qu'il puisse y avoir
"taxation sans représentation"
Les Etats
ne se distinguent que par leur pouvoir de taxation de leurs propres citoyens.
Un Etat n'est donc pas l'autre, et chacun doit assumer ses choix. Plus
exactement, les choix d'un gouvernement national doivent être assumés par les
citoyens du pays qui l'ont élu. Lorsque des politiciens ne se limitent plus à
une répartition des ressources entre les électeurs à un moment donné, mais
tentent de distribuer plus d'avantages qu'ils ne confisquent de taxes, les
gouvernements font payer le coût de cette politique aux générations futures
qui, par définition, n'ont pas voix au chapitre et sont donc incapables de se
défendre contre cette spoliation. Les banques avaient toujours été l'instrument
de cette répartition des coûts dans le temps. Ces emprunts d'Etat étant
considérés comme "sûrs" pour une banque de cet Etat, la banque
n'était pas tenue d'affecter partie de ses fonds propres en contrepartie de ces
actifs. L'intégration des marchés a eu pour conséquence d'étendre ce traitement
favorable à tous les Etats membres de l'OCDE. Cette mesure n'est pas sans
rapport avec la crise actuelle. Il est donc indispensable de revenir aux règles
de bon sens: un Etat n'est pas l'autre, et les banques qui souhaitent financer
des investissements productifs sur le territoire national ne doivent pas être
pénalisées par rapport à des établissements financiers qui détournent l'épargne
nationale vers des Etats étrangers, perpétuellement déficitaires. Les premières
contribuent à la création d'un outil productif qui assure l'avenir. Les
secondes ne font que privilégier une consommation publique passée, au détriment
d'investissements productifs futurs.
Illusion # 7: transférer la supervision sans
transférer l'exclusivité de l'autorité
Dans toutes
les tentatives d'intégration européenne, quel que soit le domaine concerné
(brevets, police, justice, douanes, etc.) les bureaucraties nationales n'ont eu
d'autres buts que de conserver leur "souveraineté", et donc
d'empêcher l'intégration tout en prétendant l'accepter. Il en est de même de la
supervision bancaire. C'est une dangereuse illusion de croire que vingt-sept
autorités de contrôle seraient capables d'assurer le respect de règles par des
groupes bancaires qui disposent de filiales et de succursales sur tout le
territoire de l'Union, et ne se privent pas de transférer risques et ressources
au gré des opportunités économiques, fiscales et réglementaires
Illusion #8: confondre le rôle des banques et
celui des assurances
Ce fut une
erreur de croire que l'autorisation donnée aux banques de fusionner leurs
activités de banque et d'assurance permettrait un meilleur fonctionnement des
marchés financiers. Dans la réalité, le risque a été démultiplié: la branche
assurance couvrait des produits de placement risqués, qui n'auraient pas été
assurés par une compagnie sans liens avec la banque, ou qui auraient exigé des
primes bien plus importantes. De même, et plus généralement, l'assurance, puis
le refinancement par des institutions publiques américaines a provoqué la bulle
immobilière, amplifiée par les "subprimes", et le rôle ambigu du
couple diabolique Fanny Mae et Freddie Mac. Joindre banque et assurance, c'est
renoncer à l'essentiel: un jugement critique et indépendant des risques (cours
des actions, prix des matières premières, défaut de paiement d'un Etat, pour ne
citer que trois).
Illusion #9: bureaucratiser le crédit et
étatiser l'innovation
Tous les
Etats cherchent à donner l'illusion qu'ils sont à même de choisir les secteurs
qui permettront à la croissance de reprendre. C'était l'argument de
l'"Agenda" ou de la "Stratégie" dits "de
Lisbonne", et dont aucun des objectifs n'a été atteint. Une
nationalisation des banques multipliera les risques d'erreurs, de copinages et
de gaspillages, en donnant aux bureaucraties le pouvoir de sélectionner les
bénéficiaires de crédits en fonction d'apparentements et de préférences
politiques, et au détriment du développement d'entreprises réellement
innovantes.
Illusion # 10: généraliser le laxisme
Afin de
persuader l'Allemagne d'abandonner le Mark au profit de l'euro, et de
convaincre les partisans de l'orthodoxie monétaire qu'il s'agirait d'un
renforcement et non d'une dilution, les Etats historiquement prodigues firent
mine d'accepter une discipline commune. Dès le départ, des accommodements ont
été trouvés, puis des exemptions, pour finalement arriver à des règles qui ne
sont plus appliquées par personne. Face à une telle indiscipline, deux choix
étaient possibles: contraindre les Etats voyous à sortir du club ou tolérer que
tous les membres adoptassent le même laxisme. C'est bien évidemment la seconde
solution qui a été choisie, afin de poursuivre quelque temps encore la gabegie.
Un pacte bureaucratique (dit "de croissance") ne pourra jamais
remplacer un pacte monétaire (dit "de stabilité"), sachant que les
actions des bureaucraties, par nature, n'auront jamais d'autres effets que de
détourner les moyens financiers des secteurs potentiellement innovants vers des
secteurs sans avenir.
Conclusion
Il est
préférable de dissiper les illusions avant de poursuivre dans la direction de
ce qui ne peut que se révéler bientôt que des mirages. Prétendre sauver
l'épargne n'est pas une excuse pour sauver les banques sans discrimination.
C'est bien au contraire l'émission de monnaie factice pour un trillion d'euros
qui met en danger à la fois l'épargne (par l'inflation), le système bancaire
(par contamination) et même les Etats (par l'absence d'investissements
productifs). Comme la langue d'Esope, une banque centrale peut être la
meilleure et la pire des choses. Une banque centrale idéale, celle du Traité de
Maastricht, ne fournit à l'économie que la quantité de monnaie absolument
nécessaire aux échanges. Une banque centrale néfaste prétend "créer de la
croissance", une dangereuse illusion. Admettre que les banques centrales
ont un rôle ingrat, et qu'il leur est impossible d'atteindre la perfection, ne
signifie pas qu'il faille prôner leur suppression, comme le fait Ron Paul, l'un
des derniers candidats à l'investiture républicaine. Permettre l'émission de
monnaie par tout un chacun ne manquerait pas d'attirer surtout des Madoff.
L'Europe a
refusé d'adopter les règles et la discipline germanique qui garantissaient la
stabilité du Deutsche Mark. Les politiques et les déficits qui ont amené la
France dans le passé à dévaluer de 2% en moyenne annuellement, sont toujours
les mêmes que ceux qui prévalaient avant l'adoption de l'euro. S'il fallait
aujourd'hui distinguer les billets allemands et les billets français, en y
apposant des cachets différents, comme l'ont fait, pour leur
"couronne" commune la République Tchèque et la Slovaquie au moment de
leur séparation, le billet français ne vaudrait donc plus que 80% du billet
estampillé "Deutsche Bundesbank".
Les peuples
non-germaniques ont accepté dans les textes d'adopter la rigueur dès
l'introduction d'un "Mark européen". Malheureusement, cet engagement
théorique a été tout aussitôt ignoré dans la pratique. Si ces Etats refusent
aujourd'hui la rigueur plus grande encore qu'exige un laxisme qui a duré dix
années, ils devront bientôt, comme dans la Tchécoslovaquie de 1993, commencer à
estampiller leurs billets de banque en euros.
On ne pourrait être plus clair ! A diffuser sans modération !
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