La Banque
Centrale Européenne est cette institution qui imprime des petits bouts de
papier de couleur que nous gardons dans nos portemonnaies. Nous n'avons
vraiment pas le choix: nous sommes contraints d'accepter ces vignettes en
échange de notre travail, et de les conserver dans ce bref intervalle de temps
entre notre travail et le moment où nous échangeons le papier contre le produit
du travail des autres.
Cette BCE vient
de décider de baisser encore le taux d'intérêt qui rémunérera notre épargne.
Le capital,
l'épargne, les investissements, n'ont plus aucune valeur pour la BCE, et
doivent donc être détruits.
Personne
n'investissait quand son taux était de 0,75%. Il y aura encore moins d'épargne
à 0,50%. Et cela pour des raisons que même des enfants, échangeant des jouets
dans une cour d'école, peuvent comprendre! [1]
D'abord, les
fonds dont la BCE inonde les marchés ne seront pas investis en Europe, où il
n'existe plus de projets productifs, tout bénéfice étant capturé par des
salaires rendus exorbitants par des charges sociales et des impôts
astronomiques, et immédiatement gaspillés dans des administrations obèses et
jamais rassasiées. La banque centrale du Japon a maintenu son taux d'intérêt à
un niveau proche de zéro depuis une vingtaine d'années. Le seul résultat a été
de nourrir une spéculation massive, qui consiste à emprunter en yens, pour
miser sur d'autres monnaies (ce que l'on appelle du joli nom de
"carry-trade").
Ensuite, les
charges et le manque de productivité ont provoqué la plus grande vague de
licenciements et de faillites que l'Europe ait jamais connue. Il est peu
probable que les banques, qui sont chargées (dans un monde idéal!) de
transformer l'épargne en investissements, soient donc plus enclines à prêter à
qui que ce soit, et elles le seront d'autant moins que le taux sera bas.
Pour suivre, les
économistes de la BCE semblent avoir oublié ce qu'un étudiant en sciences
économiques apprend en première année: l'intervention de l'État pour imposer un
prix en-dessous du prix d'équilibre augmente la demande, mais diminue l'offre.
Pire, dans ce cas précis il n'existe plus d'offre depuis bien longtemps:
l'offre de capitaux ne démarrerait qu'à des taux plus élevés. La BCE agit donc
dans une zone où son taux d'intérêt n'a plus aucune signification.
Une autre raison
est la dépréciation de tous les investissements, qui n'est plus compensée par
un taux d'intérêt proche de zéro. Il ne sert donc à rien de prendre un risque
non rémunéré: le meilleur investissement n'est plus par l'intermédiaire des
banques, ou dans l'investissement industriel, mais dans la spéculation et le
jeu. Ce n'est pas le "capitalisme financier", ce monstre sorti de
l'imagination malade des collectivistes, qui a provoqué la crise. Bien au
contraire, c'est la destruction, par les Etats, de toute rentabilité
d'investissements, de toute perspective de croissance, qui a poussé toute
l'épargne vers la spéculation.
L'argumentation
de la BCE selon laquelle un taux artificiellement bas ou même négatif
relancerait la consommation est, au mieux, naïve. L'épargne n'étant qu'une
consommation différée, les consommateurs devront au contraire augmenter leur
épargne (donc réduire leur consommation présente) afin de préserver leur
consommation future. C'est le cas, par exemple, des fonds de retraite: au-delà
du flux périodique des contributions déduites des revenus, il devient impératif
de combler le manque de revenus sur le capital déjà accumulé. Faute de procéder
de cette manière, les fonds de retraite "par capitalisation"
connaîtront le sort des fonds de retraite par "répartition"
(c'est-à-dire par spoliation des générations futures)...
Les consommateurs
savent également, plus ou moins consciemment, qu'un épisode de taux d'intérêts
artificiellement bas est généralement suivi d'une forte inflation. Leurs
options sont limitées dans ce cas: les plus aisés ont la possibilité d'investir
dans des biens physiques, ou dans des monnaies étrangères gérées par des
banques centrales compétentes. Les plus modestes n'ont d'autres choix que
d'épargner plus encore, en prévision des impôts et des charges supplémentaires
que les bureaucraties ne manqueront pas de leur infliger.
La "boîte à
outils" de la BCE semble ne contenir que le lourd et épais marteau des
taux d'intérêts. C'est toujours ce même instrument, brut et massif, que la BCE
manipule sans aucun discernement, alors que les travaux que l'on exige d'elle
exigent au contraire précision et doigté. Financer de la même manière la dette
de l'Espagne et celle de l'Allemagne n'a aucun sens. Ce serait assimiler une
amputation à la scie sur un champ de bataille napoléonien à la chirurgie au
laser, robotisée et ultra-précise, des temps modernes. Une fois engagée dans
cette voie, la BCE s'est placée elle-même dans une impasse. Mais la voix des
Etats faillis est devenue prépondérante au sein de la Banque. Et toute banque
dirigée par ses emprunteurs est vouée elle-même à la faillite...
La Banque a
privilégié les Etats au détriment des entreprises. Or les Etats assèchent les
marchés financiers pour financer de la simple consommation, à savoir le
financement de leurs dépenses courantes (et des déficits creusés par des
dépenses qu'ils sont devenus incapables de réduire). Ayant à choisir entre leur
propre survie et le financement des entreprises productives, les Etats ont
choisi: seul compte le maintien du train de vie de leurs bureaucraties et des
mignons qu'elles entretiennent pour s'assurer assez de voix à la prochaine
élection.
La Banque a
maintenu enfin de manière indiscriminée le financement des banques, les isolant
de la discipline des marchés, avec la complicité des Etats qui ont transformé
en banques publiques les plus mal gérées de ces institutions, au lieu de les
restructurer et, le cas échéant, de leur interdire de poursuivre leurs
opérations.
Enfin, et sur un
plan plus technique, la création du "marché financier unique" devait
être rendue possible par la mise en place d'un système de compensation et de
règlement des transferts entre banques. Pour rester simple, si la banque A doit
(pour compte de ses clients) une somme X à la Banque B, et que B doit le total
Y à la banque A, les deux banques peuvent "compenser" ces mouvements
et la banque qui doit le montant le plus élevé ne "règlera" que la
différence entre X et Y. Ce système fonctionne également pour un grand nombre
de banques, seuls les soldes étant "réglés". Mais, si un seul solde
n'est pas "réglé", tout le système est en danger: quelles sont en
effet les opérations qu'il faut annuler? Dans l'impossibilité de revenir sur
une partie seulement des opérations, c'est l'ensemble des transferts qui doit
être annulé. Or le système de "compensation et de règlement" du
"Système Européen des Banques Centrales" ne fonctionne plus depuis
des années: les banques centrales "sudistes" n'ont pas
"réglé" leurs soldes aux banques centrales "nordistes",
principalement, bien sûr, la Deutsche Bundesbank.
Les créances
cumulées, résultant des soldes journaliers non réglés à l'intérieur même du
système des banques centrales, a dépassé fin 2012 le montant astronomique de
mille milliards d'euros. Ces soldes, qui résultent, il faut le rappeler, de
millions de transferts effectués par les clients de banques
"sudistes" en faveur de clients de banques "nordistes" (qui
sont parfois les mêmes, d'ailleurs!) ne seront jamais honorés, éliminant ainsi
plus de 10% de la masse monétaire européenne. Pire, si les banques sudistes
restent autorisées à ordonner des transferts qu'elles ne règlent pas, rien
n'empêchera de nouveaux déséquilibres d'apparaître... La BCE définit
l'accroissement des dettes non réglées à l'intérieur même du système Target2,
dont le fonctionnement exige précisément le règlement des soldes, par le nom
poétique de "trompette de Target". Ce sont effectivement des
trompettes: celle de Jéricho, qui feront s'écrouler tout le système de l'euro.
Un ancien membre
du Directoire de la Deutsche Bundesbank, qui avait déjà dénoncé dans un livre
retentissant que "l'Allemagne s'auto-détruit" a récemment publié un
autre réquisitoire, cette fois contre la monnaie européenne ("L'Europe n'a
pas besoin de l'euro"). J'irais un pas plus loin: l'euro a déjà détruit
l'Europe.
= = = = =
NOTE
[1] Dans un
échange épistolaire fameux, publié dans la Voix du Peuple, entre Pierre-Joseph
Proudhon, un anarcho-socialo-utopiste, et Frédéric Bastiat, un économiste et
pamphlétaire libéral, les deux hommes se rejoignaient sur un point: lorsque le
taux d'intérêt sera tombé à zéro, le socialisme sera réalisé: il ne servira
plus à rien ni d'épargner ni d'investir.
Article remarquable de par son contenu et sa pédagogie. Ne pensez-vous pas, pour mette une goutte d'optimisme dans ce tableau hélas si noir, que les taux bas peuvent éventuellement encourager des initiatives de type "Private Equity"?
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