Résumé
Quelques semaines à peine avant que la crise ne frappe
l'Europe, le président français avait invité des Prix Nobel d'Economie à lui
proposer des instruments de mesure de la richesse nationale destinés à
remplacer le bon vieux PIB. Depuis la crise, le rapport est oublié, et le PIB
est revenu en force, car il mesure à la fois la futilité des efforts de mettre
fin à la crise par de la monnaie facile, par de nouvelles taxes, par de la
rigueur, ou par des plans de "redressement productif". Le PIB stagne
depuis cinq ans. Pire, la part de ce PIB confisquée par les Etats tend à
augmenter, et la part que les citoyens peuvent conserver pour la satisfaction
de leurs propres besoins est de plus en plus réduite. Cette discordance entre
un PIB inchangé et des revenus individuels en baisse mérite effectivement que
l'on envisage de changer d'instrument de mesure. Un "Produit Intérieur
Libre" ne mesurerait que les dépenses libres et non contraintes des
citoyens. Il exclurait les dépenses des fonctionnaires et celles réalisées avec
des allocations, nécessairement prélevées au préalable sur d'autres revenus. Il
permettrait d'approcher de beaucoup plus près le résultat de ce que la Déclaration
d'Indépendance des Etats-Unis nomme comme l'un des trois droits fondamentaux,
au même titre que la vie et la liberté: "la recherche du bonheur"
individuel.
* * * * * * * * * * * *
Les lauréats du Nobel ne sont pas à l’abri de
coïncidences malheureuses, qui font que leurs efforts les mieux intentionnés
puissent - parfois - être vains. Il en est ainsi des résultats des travaux de
la «Commission pour la mesure des performances économiques et du progrès
social», présidée par deux Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz et Amartya
Sen. Cette commission avait été mise en place en février 2008, par le président
français d’alors, et avait été chargée de trouver des indicateurs du progrès
social plus pertinents que le Produit Intérieur Brut (PIB). Sarkozy était en
effet «insatisfait de l’état actuel des informations statistiques sur
l’économie et la société».
Rarement étude a été demandée et livrée plus à
contretemps que celle-là! A peine remise à Sarkozy, la crise de 2008 frappait
l'Europe, et la France en particulier. Cette crise dure toujours, et les
recettes appliquées par les Etats, soucieux surtout de se préserver eux-mêmes,
n'ont fait que l'aggraver. Aujourd'hui, plus personne ne se préoccupe de
mesurer "autrement" la richesse: l'essentiel est d'éviter la ruine.
Pour rappel (et en simplifiant à l’extrême), le PIB
est, dans l’une de ses définitions les plus courantes, «l’addition des valeurs
de marché de tous les biens et services produits au cours d’une période donnée»
(par exemple une année). Ces «valeurs» comprennent les taxes, ce qui est une
première difficulté. Les prélèvements de l’Etat n’ajoutent rien à la valeur
intrinsèque du bien ou du service et, de plus, la taxe, une fois prélevée, est
réinjectée par l’Etat sous forme de nouvel achat, de nouveaux fonctionnaires,
etc. Si les citoyens achètent des automobiles pour un total d’un milliard
d’euros, la valeur nette n’est que de 826,4 millions (supposant une TVA de
21%). La différence de 173.6 millions servira à engager 4.000 nouveaux
fonctionnaires qui, à leur tour, vont dépenser, etc…
Obnubilés par ce que Keynes a nommé "le
multiplicateur" (les dépenses publiques sont censées «multiplier» la
consommation), les Etats ont oublié que ce sont la consommation et
l’investissement par le secteur privé (grâce aux revenus qui permettent cette
consommation) qui sont l’unique base du développement économique. Les «moyens
publics», avant d’être «injectés» ont dû nécessairement, au préalable, être
soustraits à cette consommation et à cet investissement.
Dans l’exemple des automobiles, le PIB, net de taxes,
n’est que de 826,4 millions. Le PIB total sera évalué à 1 milliard
(automobiles) + 173,6 millions (consommation des fonctionnaires) + etc... Mais
ce total est purement artificiel et n’ajoute strictement rien à l’utilité que
retirent les citoyens des voitures qu’ils achètent. Dans une crise, le
soi-disant «multiplicateur» keynésien fonctionne en fait dans le sens inverse:
c’est un «diviseur». Une baisse de la vente de véhicules pour un milliard
entraînerait une baisse bien plus importante du PIB. Pire, les 4.000
fonctionnaires engagés, ne pouvant être licenciés et étant à charge de la
société pendant une durée moyenne de 60 ans (vie "active" +
retraite), le "diviseur" est plus important que le
"multiplicateur", il persiste soixante fois plus longtemps, et
l'économie régresse plus vite qu'elle n'a progressé.
La deuxième difficulté est illustrée par deux exemples
donnés par Stiglitz lui-même: le premier concerne les transports publics, le
second a trait au "réchauffement climatique", réel ou supposé.
Pour les transports publics, les mesures du PIB
incluent le coût de l’équipement (déduction faite de la dépréciation), les
salaires de tous les travailleurs concernés, et les recettes reçues des
voyageurs. Ce montant ne varie pas énormément selon la fréquentation d’une
ligne particulière. La conséquence est évidente: si une ligne sous-utilisée est
fermée, cette décision réduira le PIB, alors qu’elle élimine un gaspillage et
permet même de réduire des taxes et donc d’augmenter les revenus individuels.
Le PIB diminue, mais le bien-être de tous (sauf celui des chefs de gare!)
augmente.
Dans l’exemple du «réchauffement» climatique,
l’augmentation des taxes n’est plus justifiée que par une hypothétique hausse
des températures. Cette taxation ne sera pas réduite si le «réchauffement» ne
se matérialise pas. Les «Léviathans» de ce monde ont trouvé un prétexte idéal
(de leur point de vue) pour augmenter le niveau de la taxation et l’intrusion
des bureaucraties dans la vie des individus. Les gouvernements augmentent les
taxes (et donc réduisent le bien-être) afin d’affecter ces nouvelles recettes à
des projets destructeurs de richesse et qui pourraient ne jamais être amortis.
Le PIB théorique augmente donc fortement au début du cycle, pour retomber
brutalement ensuite, et retrouver un niveau plus bas encore que celui atteint
avant l’intervention des bureaucraties.
Ici, citons l'exemple de la politique de soutien belge
aux investissements des particuliers en photovoltaïque. Il s'agit là d'une
véritable démonstration des effets pervers d'une intervention bureaucratique
visant à détourner les ressources vers des usages destructeurs de richesses.
Les particuliers ont investi massivement dans ces installations, provoquant une
"bulle", financée par des crédits devant être remboursés par des
"certificats verts", c'est-à-dire de la monnaie artificielle. Mais
les capacités financières de la Région ne permettent pas de rembourser ces
"assignats" [1] par de la monnaie
réelle. Le PIB a donc été artificiellement augmenté par la bulle lors des
installations (matériel, main d'oeuvre, TVA). Mais le défaut de remboursement
des assignats réduira d'autant la consommation future de ceux qui se sont
laissé abuser par les promesses. Si les panneaux leur permettent de réduire
leur consommation (ce qui reste à démontrer), le PIB sera également réduit
d'autant. Afin de compenser les pertes de taxes, l'Etat sera contraint de taxer
ce qu'il avait promis de subsidier, et donc de provoquer une troisième baisse
du PIB...
On voit donc immédiatement que toute mesure du niveau
de vie doit déduire les dépenses publiques, les impôts et autres taxes, les
dépenses subsidiées, les dépenses contraintes, la part des services publics qui
ne seraient pas payés librement à leur juste valeur. A partir de cette base, il
doit être possible d’imaginer un étalon réaliste, entre l’ancien instrument de
mesure du PIB, qui additionne les dépenses individuelles librement consenties,
et les prédations de l’État. Il importe peu que l'Etat justifie par l'un des
slogans à la mode: "développement durable", "juste
redistribution", "progrès social". Ce dernier, le "progrès
social" n'est par exemple qu'une utopie qui détruit toutes les
individualités dans «Le meilleurs des mondes» [2].
Cet étalon mesurerait le résultat des seuls efforts
individuels, et l’accroissement de la qualité de vie que chaque individu
retirerait de ses seuls efforts. La source d’inspiration peut être trouvée dans
Adam Smith lui-même, dans un paragraphe si clairement exprimé et si moderne
qu’il a été cité par Alan Greenspan, ancien président de la Réserve Fédérale
américaine, dans son essai autobiographique.
«L'effort
naturel de chaque individu pour améliorer sa condition, quand on laisse à cet
effort la faculté de se développer avec liberté et confiance, est un principe
si puissant, que, seul et sans autre assistance, non seulement il est capable
de conduire la société à la prospérité et à l'opulence, mais qu'il peut encore
surmonter mille obstacles absurdes dont la sottise des lois humaines vient
souvent embarrasser sa marche, encore que l'effet de ces entraves soit toujours
plus ou moins d'attenter à sa liberté ou d'atténuer sa confiance.» [3]
Ce nouvel instrument de mesure ne devrait donc mesurer
rien de plus que la somme des «efforts naturels» de tous les individus, dont
serait déduit (et non ajouté, comme dans le PIB), le coût des «obstructions»
placées par l’État en travers de ces efforts.
Les principes de base pour la mesure des performances
d'un pays peuvent être définis très simplement. Deux ans avant le début de la
crise, en réaction à un article de "The Economist" sur ce même sujet [4], j'avais suggéré au magazine de proposer
l'utilisation, comme instrument de mesure des revenus des citoyens, ce que
j'appelais un "Produit Intérieur Libre" ("PIL"),
c'est--à-dire un RNN ("Revenu National Net") dont on éliminerait
toutes les dépenses pour des services publics qui seraient contraints,
surévalués ou subsidiés. Un exemple serait le péage pour les autoroutes. En
France, sur certains tronçons, particulièrement les plus fréquentés et les plus
anciens, les coûts de construction ont été amortis depuis longtemps, et moins
de 10% du montant réclamé pour l'utilisation de ces tronçons sont affectés aux
frais d'entretien et de réparation des sections en question. 90% du péage sont
donc "contraints" et "détournés" au profit d'autres
usagers, vers d'autres routes ou, plus vraisemblablement, au budget général de
l'État et aux salaires des fonctionnaires.
Ce "PIL" mesurerait la création de richesses
concrètes, et éliminerait les transferts de (et vers) l'État, la spoliation et
le gaspillage. Cet indice serait basé sur une évidence: un État ne crée pas de
richesses, pas plus qu'il ne crée le bonheur. L'unique raison d'être d'un État
est de permettre à "ses" citoyens de rechercher leur propre bonheur
personnel, comme ils l'entendent eux-mêmes, et non sous le commandement de
fonctionnaires, qu'il soit matérialisé par des injonctions, des interdictions,
des taxes ou des amendes, ou qu'il prenne la forme de subsides avec des moyens
détournés d'autres usages.
Mesurer le niveau de vie, et sa qualité, grâce à un
"PIL" mettrait fin également aux contradictions que l'on constate de
plus en plus, entre les convictions exprimées par les citoyens sur la
dégradation de leur bien-être et une évolution, en sens contraire, d'un
"PIB" qui ne correspond plus à aucune réalité, et cumule des éléments
positifs (la consommation privée) avec des éléments négatifs (les impôts,
amendes et autres spoliations).
Illustrons ceci par deux exemples.
Le premier concerne les pays qui ont
abandonné le collectivisme pour libéraliser leurs économies, par exemple en
Europe centrale et orientale. Les mesures du PIB se sont effondrées
immédiatement après l'adoption des réformes. Paradoxalement pourtant, la grande
majorité de la population continuait à accepter et même soutenir les réformes.
Si un "PIL" avait été utilisé à cette époque, son évolution aurait
démontré que ces populations n'étaient pas masochistes. Elles réalisaient très
vite au contraire qu'un PIB où la part de l'État est de 100% ne signifie plus
rien, et que 50% de liberté est préférable à 100% de servitude.
J'ai eu le privilège d'aider à introduire,
dans quelques-uns de ces pays, l'infrastructure légale et financière permettant
cette libéralisation. Dans l'un de ces pays en particulier, il fallait
introduire un système de crédit hypothécaire permettant aux occupants d'un
logement d'en devenir propriétaire (la propriété foncière y était interdite
depuis 50 ans). La demande pour ces prêts montrait que les citoyens n'avaient
qu'un seul désir: éliminer totalement la propriété publique des logements. La
comparaison avec la France, où des gouvernements oscillant entre colbertisme et
collectivisme ont imposé un "idéal" de 20% (en attendant pire...) de
logements publics dans chaque municipalité, est édifiante [5]!
Le second expliquerait pourquoi le
pessimisme ambiant dans la plupart des pays d'Europe de l'Ouest voisine avec un
PIB stable. En fait, une part de plus en plus grande du PIB est confisquée et,
dans la plupart des pays le montant supplémentaire que l'Etat s'approprie est
supérieur à l'augmentation du PIB. Des taux de taxation rigides, sur un revenu
nominal plus élevé (mais un revenu réel en baisse, suite à l'inflation), font
que l'Etat détourne une part de plus en plus importante du revenu réel,
expliquant la baisse du niveau de vie général. Un ministre des finances belge
se vantait avant la crise d'une augmentation des recettes fiscales de 5,8%
alors que le PIB global n'avait progressé que de 1,4%. Début 2013, l'Etat
poursuit cette prédation: une augmentation de 2% des prélèvements au profit de
l'Etat (eux-mêmes dépassant 60% du PIB) est envisagée, alors que le PIB en 2012
et 2013 devrait stagner. Dans chacun de ces deux exemples, un "PIL"
aurait montré deux baisses considérables des revenus "libres", et
donc du bien-être réel des citoyens.
La comparaison des "PIL" de deux
pays permettrait de comprendre pourquoi les citoyens ont parfois le sentiment
d'être plus heureux dans une "dictature libérale" que dans une
"démocratie totalitaire", pour paraphraser Friedrich Hayek, un autre
Prix Nobel (mais se situant aux antipodes de la pensée collectiviste de Joseph
Stiglitz). Les régimes de plus en plus collectivistes (qualifiés de
"modèles de solidarité" par leurs promoteurs) font payer leurs
"services publics" par des prélèvements obligatoires sans rapport
direct avec l'usage de ces "services". Les gouvernements font valoir
la "satisfaction" des usagers dont la contribution est très largement
inférieure aux coûts réels des services. Mais ils omettent de déduire de cette
"satisfaction" la réduction de bien-être (bien plus importante)
qu'entraînent impôts et taxes payées par les non-usagers, sans aucune
contrepartie.
Dans la droite ligne de Keynes, certains se
réjouissent des catastrophes (la "reconstruction" augmente le PIB),
de l'insécurité (explosion du nombre de policiers, des dépenses de sécurité,
des primes d'assurance, etc..). Toutes ces dépenses n'augmentent en rien le niveau
de vie: des portes blindées offrent moins de sécurité aujourd'hui que des
portes ordinaires dans les années 1970. Remplacer un millier de voitures
brûlées tous les week-ends n'ajoute rien à la qualité de vie des propriétaires,
et réduit le niveau de vie de tous, les coûts étant répartis dans la société
(mais n'en étant pas moins bien réels!)
Il est quand même des dépenses
"sociales" que Mr Stiglitz juge réductrices du PIB. Il admet par
exemple que "si vous emprisonnez un plus grand nombre de personnes, le PIB
augmente mais personne ne prétendrait que ceci dénote un progrès social".
Malheureusement, Mr Stiglitz s'arrête devant l'obstacle et n'ose pas le
franchir. Il aurait fallu admettre également que toute confiscation de
ressources par l'Etat, que ce soit pour construire des prisons, engager plus de
policiers, ou pour tout autre usage, aboutit à un gaspillage de ressources, et
donc à une destruction du bien-être. Dans une société où la moitié de la
population serait en prison, et où l'autre moitié serait geôlier, le PIB serait
considérable, mais le "PIL" serait de zéro.
Pour conclure, chaque individu devrait rester le seul
juge de ce qui constitue pour lui un "progrès". Ce progrès ne peut
provenir d'un partage, ni d'un gaspillage, ni du simple remplacement de ce qui
existait mais a été détruit ou volé. C'est donc la somme des récompenses,
pleines et entières, des efforts de chacun d'améliorer son propre sort, et à
l'exclusion de toute contrainte. Le "progrès social", par opposition,
implique nécessairement de prélever à l'un le fruit de ses efforts pour
distribuer ce fruit à d'autres. Si le Produit Intérieur Brut, tel qu'il existe,
cumule efforts, taxes, et redistribution des taxes, cet instrument ne mesure
rien d'autre que la puissance de coercition des bureaucraties. Le "Produit
Intérieur Libre", par contre, ne mesure que les efforts, et en déduit la
taxation et la redistribution.
NOTES
[1] Les assignats étaient des promesses de paiement, émises par les
révolutionnaires français, et censées être "garanties" par les
"biens nationaux", c'est-à-dire des propriétés que l'Etat avait
lui-même confisquées. A l'origine émis pour 400 millions, les assignats
enflèrent très vite, pour atteindre 2 milliards, puis 6, puis 27 et enfin 46
milliards. Malgré des réductions des taux d'intérêt promis, et malgré un
"emprunt forcé sur les riches", ces ancêtres des "certificats
verts" perdirent 97% de leur valeur, et furent finalement supprimés, après
avoir ruiné ceux qui avaient fait confiance à l'Etat.
[2] Titre d’un roman d’Aldous Huxley (1932), dans lequel une épigraphe (de
Nicolai Berdiaev, qui avait fui le collectivisme soviétique), concluait par le
rêve que la société abandonnerait toutes les utopies, et deviendrait moins
"parfaite", mais plus “libre”.
[3] Alan Greenspan, "Le temps des turbulences", 2007
[4] The Economist, "Measuring
economies", 11 février 2006
[5] On a pu ainsi entendre récemment l'adjointe au maire de Paris,
candidate au poste lors des prochaines élections, annoncer fièrement, dans les
médias que 3/4 des logements à Paris sont des logements publics. Pour un Etat
totalitaire, c'est une fierté. Pour un Etat se prétendant "patrie de la
liberté", ce devrait être une honte.
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