L'une des
questions fondamentales que le libéralisme a toujours peiné à résoudre est
l'attitude à adopter vis-à-vis du communautarisme et du "marquage" de
territoire. Faut-il, en d'autres mots, "tolérer l'intolérance"?
La question
d'attitudes vestimentaires de "marquage" n'est pas la création des
sociétés libérales elles-mêmes, mais leur est posée par un comportement adopté
par de nouvelles populations cherchant à se différencier par des habitudes
vestimentaires jusqu'ici inconnues sous nos climats.
Drieu
Godefridi reprend sur "Contrepoints" certains des arguments qu'il
développait dans un article publié en 2010 sur le site du défunt Institut
Hayek. C'est une position. Mais d'autres points de vue sont tout autant, sinon
plus, conformes aux principes de la liberté individuelle. C'est cette autre
version qui est développée ici.
Nul ne
cherchera à dissimuler que la société européenne est en profonde mutation, non
de son propre fait, mais de par les comportements délibérés de populations qui
se sont invitées en Europe, pour y bénéficier de conditions de vie plus
avantageuses. La plupart des nouveaux venus ont compris que cette civilisation,
qui - par définition - leur faisait envie, était fondée sur un principe
fondamental, celui de la liberté, tant de penser que d'entreprendre, et donc
sur une remise en question permanente. Par leur choix de migrer (ou de
s'implanter), ces migrants démontrent que c'est l'absence de liberté et les
certitudes de l'obscurantisme, qui avaient ruiné les sociétés dont ils étaient
originaires.
Il est
toutefois un type de population qui imagine que des comportements primitifs,
tribaux, fétichistes, peuvent cohabiter avec la "société ouverte" de
Popper ou la "grande société" de Hayek. Ce qui est incertain, c'est
la question de savoir s'ils ignorent que ces comportements sont antagoniques de
la "société ouverte" ou si, au contraire, ils ne cherchent pas
sciemment à détruire celle-ci.
Ne citons
qu'un exemple, mais qui nous affecte tous. Chaque fois qu'un européen prend
l'avion, sa liberté, comme celle de millions d'autres, est amputée de façon
inacceptable (et le coût du déplacement accru) parce que 19 fanatiques, tous
originaires du Moyen-Orient, ont, un matin de septembre 2001, massacré des
milliers d'innocents en écrasant deux avions sur des gratte-ciel de New York,
sous de fumeux prétextes de délices paradisiaques. Utiliser le terme
"fanatiques" pour ces criminels leur fait d'ailleurs trop d'honneur,
et pourrait paraître accorder un crédit quelconque à leurs délires. Il serait
plus exact de les qualifier plus simplement de psychopathes. Mais ces
paranoïaques et leurs congénères de Madrid, Bali, Londres, Moscou, Casablanca,
etc. sont d'autant plus forts dans leurs hallucinations que la "société
ouverte" est plus faible.
Lorsque des
quartiers entiers des métropoles européennes ont quitté l'Europe pour devenir
des banlieues de Bamako, Kinshasa ou Alger, les habitants qui occupaient ces
quartiers avant l'arrivée des nouveaux venus n'ont, eux, d'autre solution que
d'abandonner leurs propres racines, leurs logements, leurs commerces pour
chercher (s'ils en ont les moyens) un environnement qui leur permette de
retrouver sécurité pour eux-mêmes, confiance en leurs voisins, négoces pour
leur approvisionnement, et une éducation décente pour leurs enfants.
Certains
habitants traditionnels cherchant à s'accrocher, ou n'ayant plus les moyens de
quitter leur logement, les nouveaux venus cherchent à éliminer ces derniers
"résistants" des territoires conquis. Ils "marquent" leur
territoire. La burqa - tout comme le simple voile - est l'une de ces
"marques".
Godefridi
écrivait dans son article original de 2010 que "rien, dans notre droit
commun, ne permet d'interdire le port d'un vêtement dont il est impossible de
soutenir sérieusement qu'il constituerait une menace imminente pour
autrui". Faut-il comprendre qu'il ne voit aucune objection à ce que
quelqu'un se promène avec la tenue du Ku-Klux-Klan, ou un uniforme SS? De même,
que penserait-il d'un groupe d'archéo-européens qui déciderait de parader dans
les rues de quartiers arabisés après avoir revêtu des tenues de croisés?
Ne voit-il
pas non plus d'inconvénient à ce que, par dérision, les archéo-Européens mâles se
promènent affublés d'une burqa? Je doute pourtant que ces Européens-là survivent
longtemps dans les casbahs de Molenbeek ou de Clichy-sous-bois. Mais alors, comment
motiver le refus d'interdire la burqa aux femmes tout en l'interdisant aux
hommes?
Parce qu'il
s'agit bien là de l'essentiel du problème: pourquoi une religion (qui n'est
jamais qu'une superstition et des mythes créés et manipulés par un groupe
d'individus) réserve-t-elle un vêtement à tel sexe? Pourquoi les musulmans
mâles ne sont-ils pas tenus eux-mêmes à cette "modestie" qu'ils
exigent de leurs femmes? Tout simplement parce que ce vêtement (ou toute autre
obligation ou interdiction imposée à l'un mais non à l'autre) est la
manifestation la plus évidente d'un comportement primitif, hérité du monde
animal: la femelle "appartient" au mâle.
Si notre
"société ouverte" abandonne ses principes fondamentaux (ses propres
"marques") face à la progression des fanatismes et des superstitions,
comment fixerons-nous les nouvelles limites d'une société fermée, redevenue
tribale? Notre droit de succession doit-il inclure les règles fixées par le
Coran, qui précise une répartition des héritages très différente de la nôtre?
Faut-il introduire la polygamie, la flagellation et la lapidation dans notre
droit matrimonial, l'esclavage dans notre droit du travail, l'amputation des
mains et des pieds dans notre droit pénal? Faut-il rétablir la peine de mort
pour les apostats? Faut-il, comme en Iran, que les candidats aux élections, et
les résultats de celles-ci, soient soumis à l'approbation de chefs religieux
auto-proclamés?
Godefridi
compare les comportements imposés par la superstition aux manières de se vêtir
d'autres groupes de marginaux (punks, gothiques, etc...). Mais aucun de ces
groupes ne se réclame de prescriptions morales supérieures à l'état de droit,
comme le fait l'Islam. Les marginaux 'autochtones" ne cherchent ni à "marquer"
un territoire ni à en exclure les habitants traditionnels ou à interdire les
comportements d'une "société ouverte". L'accoutrement des punks et
autres groupes saugrenus ne les empêche pas d'effectuer les actes de la vie
courante, et notamment ceux qui requièrent une identification. Pour les plus
intransigeants des islamistes par contre, les exigences qu'ils mettent sur le
compte de leurs superstitions vont bien plus loin que l'obstacle à
l'identification. Ces exigences ont des conséquences directes pour ceux qui
sont amenés à traiter avec eux, et à qui ils imposent ainsi, d'une certaine
manière, de se soumettre contre leur gré à ces mêmes coutumes. Même la simple
courtoisie entre les sexes n'a plus de raison d'être: toute femme voilée
déclare en effet, par la protection textile dont elle s'entoure, qu'elle vous
réduit à un prédateur sexuel.
Nul ne peut
nier que les territoires "voilés" coïncident presque exactement avec
les zones de non-droit créées par des populations qui y imposent leur propres
versions de l'"ordre" et de la "justice" tribaux, et sont
progressivement prises en charge et contrôlées par les hordes elles-mêmes, qui
remplacent ainsi l'état de droit par la force brute. Après avoir exclu les
habitants "autochtones" par la terreur, après avoir saccagé la vie
économique dans les zones occupées, les hordes sont d'ailleurs obligées d'aller
piller d'autres régions, dans un phénomène de "tache d'huile"
destructeur.
Il serait
naïf de prétendre que la liberté n'a besoin ni d'être constamment réaffirmée,
ni d'être défendue. Hayek avait dénoncé les attaques dont elle a été l'objet,
depuis le fascisme et le communisme ("La Route de la Servitude")
jusqu'à la démocratie "illimitée" ("Droit, Législation et
Liberté"). Il annonçait déjà la quatrième menace dans "La
Constitution de la Liberté", lorsqu'il écrivait:
"Religious
beliefs seem to be almost the only ground on which general rules seriously
restrictive of liberty have ever been universally enforced" [1]
Godefridi conclut au contraire qu'"il
faut accepter certaines manifestations inoffensives de la culture islamique au
sens large, ou renoncer à la démocratie".
Faut-il rappeler que c'est
l'"acceptation" progressive "de certaines manifestations
inoffensives de la culture" fasciste qui a finalement permis au
totalitarisme de s'emparer du pouvoir? Hayek l'écrivait d'ailleurs lui-même en
1944:
"Depuis vingt-cinq ans au moins avant le
moment où le spectre du totalitarisme est devenu une menace immédiate, nous
nous sommes progressivement écartés des idéaux essentiels sur lesquels la
civilisation européenne est fondée." [2].
Cette "civilisation européenne"
s'est relevée des attaques du fascisme et du collectivisme. Elle résistera
peut-être à la "démocratie illimitée". Mais elle ne survivra pas à ce
que J.S. Mill (cité par Hayek dans sa "Constitution of Liberty" a
appelé "le despotisme de la coutume". Mill jugeait ce despotisme
"total" dans "la plus grande partie du monde" et écrivait
que "c'est le cas de tout l'Orient". Or le Coran est clair à ce
sujet: "L'Orient et l'Occident appartiennent à Dieu" [3], et ce qui a
fait la richesse de l'Occident doit donc disparaître.
Dans mon exemplaire du Coran, l'introduction
par le traducteur, D. Masson, faisait état de 350.000 musulmans en France en
1967, et de 2,5 millions en 1985. Aujourd'hui, ils sont estimés à 6 millions,
soit une multiplication par 18, dans une population totale qui n'a augmenté que
de 10% sur cette même période. Il n'y a aucune raison de croire que de tels
taux de progression ne se poursuivront pas, et que la France entière ne sera
pas devenue une "terre d'Islam" avant la fin de ce siècle.
Il est donc légitime de se poser dès
aujourd'hui la question de savoir si "l'Europe peut encore être la même
avec un peuple différent sur son territoire?", le sous-titre du livre d'un
éditorialiste du "Financial Times" [4].
Face à la négation d'une liberté et au
"marquage" d'un territoire (le voile) il existe deux réponses
possibles pour le libéralisme. Une réponse "molle" et suicidaire: il
est "interdit d'interdire". Et une réponse ferme: l'esclavage est
interdit, même si l'esclave est consentant.
Il est amusant de lire, dans l'un des textes
fondateurs du libéralisme [5], que les exemples de prescriptions imposées par
la religion musulmane cités par Mill, sont, selon lui, "tirés de
circonstances impossibles chez nous". Ce que Mill jugeait "impossible
chez nous" de son temps ne l'est plus 150 ans plus tard, et demande donc
une véritable réponse, renvoyant dos à dos totalitarisme et résignation.
NOTES
[1]
"The Constitution of Liberty", Routledge, réimpr. 2005, page 155.
[2] "La Route de la Servitude", PUF, 2e ed., 1993, page 17
[3] Sourate
II, verset 115.
[4] Christopher Caldwell,
"Reflections on the Revolution in Europe" (Allen Lane, 2009).
[5] J.S.
Mill, "De La Liberté", Gallimard, Folios, 1990, page 195.
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