Introduction
L'ambition politique d'une
"convergence" Européenne des pays membres a conduit non seulement à
la création d'un "marché" d'abord "commun", puis
"unique", mais aussi au lancement d'une monnaie commune qui
s'imposerait à tous, à la manière d'une camisole de force [1].
Pour la première fois, la vision
bureaucratique devenait souveraine. Etendre le Deutsche Mark à des pays avec
des habitudes de consommation, d'épargne et de taxation très variées, et une
grande disparité dans les productivités de leurs industries et de leurs
bureaucraties, dues à des éthiques de travail très différentes, a mis
inévitablement en évidence les déséquilibres structurels dans tous les pays qui
n'avaient ni la rigueur budgétaire ni la discipline monétaire de l'Allemagne.
Bénéficiant pendant un temps de taux
d'intérêt très favorables, et de marchés beaucoup plus étendus pour leurs
émissions d'emprunts, ces pays prodigues se sont laissé aller avec abandon à
des déficits budgétaires massifs, leur permettant de camoufler une mauvaise
gouvernance et un gaspillage publics massifs, et ce jusqu'au jour où les
investisseurs cessent d'assimiler la dette des Etats méditerranéens à la dette
souveraine de l'Allemagne.
La crise financière n'a rien fait
pour rassurer les marchés, mais il serait trop simpliste d'affirmer que cette
crise est la seule cause des difficultés auxquelles ont à faire face les
Trésors Publics indisciplinés. En fait, comme ce document tentera de le
démontrer, les causes des difficultés de la zone euro sont antérieures à
l'introduction de la monnaie commune, et doivent être recherchées non seulement
dans des règles défectueuses, mais dans la manière dont ces règles (déjà
excessivement permissives et vagues), bien qu'acceptées comme évidentes et
contraignantes par tous les Etats, ont été largement ignorées par ces mêmes
Etats
Une première réfutation
Afin de démontrer qu'une monnaie
commune ne saurait être, en elle même, le problème, mais qu'elle ne fait que
mettre en lumière des déficiences structurelles existantes, une comparaison
entre les deux plus importantes économies de l'euro-zone est très révélatrice.
Lors des dernières élections
présidentielles françaises, les partis "souverainistes", et les
partis extrémistes de gauche comme de droite ont prétendu que la monnaie unique
européenne avait privé le pays de son "indépendance" économique,
particulièrement de sa faculté de fixer (c'est-à-dire de manipuler) le cours de
la monnaie nationale. Selon leur thèse, un euro fort est la cause d'une
performance de plus en plus décevante des exportations françaises, et de la
délocalisation de l'industrie manufacturière.
Mais une simple comparaison des
balances commerciales des deux principales économies de la zone euro, la France
et l'Allemagne, contredit ces thèses. En fait, l'Allemagne, qui a la même
monnaie que la France, a vu son excédent commercial quadrupler depuis
l'introduction de l'euro. Même si la crise a provoqué un tassement, la baisse a
été partiellement corrigée depuis lors. La France, par contre, a vu son
excédent disparaître, et doit faire face aujourd'hui à un déficit record, et
continuant à croître.
Il est même surprenant de constater
que les balances des deux pays ont commencé à diverger après l'introduction de
la monnaie commune, et l'écart entre eux est aujourd'hui cinq fois plus
important qu'il ne l'était en 2000. Il est impossible que ce qui a détruit la
compétitivité de l'économie française soit en même temps ce qui a soutenu la
hausse des exportations allemandes. La réponse devrait plutôt être cherchée
dans la réduction de la productivité française, en raison de la réduction
autoritaire du temps de travail hebdomadaire, sans diminution de salaire. Les
revenus étant maintenus constants, une consommation inchangée devait importer
ce qui n'était plus fabriqué localement.
Graphique 1 - Balances commerciales, France et Allemagne
Source: "The Economist", milliards de $ US
La faute ne peut donc être imputée à
une monnaie, qui n'est qu'un instrument commun de mesure, mais dans les erreurs
d'une société ou de son gouvernement.
Limite de la dette: des saints et des pécheurs
Les inquiétudes actuelles du marché
étant provoquées par le niveau de la dette publique, nous examinerons d'abord
l'application du critère de convergence concernant la définition d'un niveau
"acceptable" de dette publique [2]. La
présente section essaiera de démontrer que la question du montant total de la
dette ne peut être évoquée sans résoudre auparavant le problème des déficits
annuels.
Si le Traité de Maastricht avait interdit toute dette publique, il est vraisemblable que seul le minuscule Luxembourg aurait adopté l'euro. Comme tous les autres pays traînaient derrière eux une dette publique importante, les signataires ont prestement inclus dans le Traité la notion d'un niveau de dette publique "acceptable" ou "viable", déterminé sous forme d'un pourcentage du produit intérieur brut (PIB). Pour les pays qui dépassaient déjà ce plafond, il leur suffisait de montrer une tendance à la réduction du niveau d'endettement.
En effet les pires
"délinquants" tentèrent de réduire leur dette "excessive"
au cours des années qui précédèrent l'introduction de la monnaie commune. Ceci
a été réalisé principalement en augmentant la charge fiscale, en privatisant
des entreprises publiques, en reportant des dépenses d'investissement of
d'infrastructure, mais non en réduisant la "graisse" du mammouth (les
dépenses de fonctionnement et l'emploi public continuèrent d'augmenter) [3]
Les graphiques ci-dessous montrent
les efforts accomplis par la Belgique et l'Italie pour ramener leur dette
publique en-dessous du niveau "autorisé" de 60% du PIB. Les
estimations effectuées par le FMI pour la période 2012-2017 montrent que la
proportion de la dette qui dépasse ce plafond sera encore plus importante en
2017 qu'elle ne l'était avant l'introduction de l'euro, même en utilisant les
hypothèses optimistes que les marchés acceptent, aux échéances, de reconduire
la dette à des taux d'intérêt négatifs (c'est-à-dire inférieurs à l'inflation).
Graphique 2
Graphique 3
Le graphique suivant montre
l'évolution des recettes et des dépenses publiques pour deux des pays mentionnés.
Il démontre que la réduction modeste du rapport dette/PIB a été bien plus le
résultat d'une augmentation des recettes (et donc une taxation plus élevée) que
d'une réduction des dépenses. En fait, ces dernières (et notamment l'emploi
dans le secteur public) ont continué à augmenter.
Graphique 4
D'autres pays, au contraire, ont mis
à profit la période qui précédait l'introduction de l'euro pour réduire leurs
dépenses publiques, tout au moins en proportion de leurs PIB, même si cette
réduction n'a pas été effective en termes absolus. Le graphique suivant montre
l'évolution du budget du gouvernement français, tel que le FMI le détaille:
Graphique 5 - France - Recettes et Dépenses (Gouvernement central)
Source: FMI; en pourcentage du PIB
Ces tendances sont clairement
identifiables. La première est un effort, réel ou simplement par le biais de
chiffres embellis, de revenir à un budget équilibré dans la période précédant
l'introduction de l'euro. Ceci a été obtenu par une augmentation des
prélèvements et par une réduction des dépenses (toutes deux exprimées en
pourcentage du PIB).
La seconde tendance est une chute
des recettes après la crise de 2008, au même moment où les dépenses
augmentaient de manière significative, également en termes de pourcentage du
PIB.
Les mêmes tendances sont évidentes
dans les chiffres concernant l'Allemagne, même si les pourcentages en termes de
PIB sont plus bas que les chiffres de la France.
Ce qu'il est plus important de noter
toutefois, c'est le fait que l'Allemagne a réussi à réduire le pourcentage du
PIB confisqué par l'État (44% en 2009), alors que la part saisie par l'État
français, la même année, dépassait 50%.
Graphique 6 - Allemagne - Recettes et Dépenses (Gouvernement central)
Source: FMI; en pourcentage du PIB
Pour ce qui concerne la Grèce, le
premier pays qui ait déclenché l'alarme, les chiffres montrent que le
gouvernement, pendant de nombreuses années, a dépensé à la manière d'un pays
développé, mais a perçu des taxes au niveau d'un pays du Tiers-Monde.
Graphique 7 - Grèce - Recettes et Dépenses (Government Central)
Source: FMI; en pourcentage du PIB
Déficits annuel: des interprétations
divergentes
Si le volume total de la dette est
aujourd'hui la principale préoccupation des marchés, cette question est posée
après une longue période durant laquelle les Etats-membres étaient plus
concernés, au moins en apparence, par les budgets annuels, et l'interprétation
de la première règle du Traité de Maastricht sur le sujet des "procédures
de déficit excessifs" [4].
Cette règle a prêté à confusion
depuis l'origine, et aucune raison n'a jamais été fournie pour justifier
l'existence d'un déficit. Certains pays ont interprété cette règle comme une
autorisation de maintenir un déficit permanent à cette limite. Le fait que la
formulation reprise par le "Pacte de stabilité et de croissance"
(PSC) considère les 3% comme une "valeur de référence", et qu'un
déficit est "excessif" au-delà de ce pourcentage, a évidemment favorisé
une interprétation laxiste par les États prodigues.
Dès le départ, la règle a été
comprise et appliquée de quatre manières différentes:
1) un pays peut présenter un
déficit pendant une période limitée, mais s'oblige à prendre des mesures de
redressement afin de compenser les périodes de déficits par des périodes
d'excédents, afin d'équilibrer ou de compenser sa situation budgétaire sur la durée
totale d'un cycle économique [5]. Le meilleur
exemple est donné par la Finlande, comme l'illustre le graphique suivant:
Graphique 8
Source: Eurostat
2) en temps normal, un pays
est tenu de présenter un budget en équilibre mais peut, dans des circonstances
exceptionnelles, présenter un déficit équivalent à 3% de son PIB. [6]. Une définition du concept de "circonstances
exceptionnelles" a, bien entendu, été soigneusement évitée. L'exemple du
Luxembourg, montré ci-dessous, semble un modèle de vertu. Pour ces pays
vertueux, un déficit, de quelque importance soit-il, est considéré comme une
ultime option, qui ne peut être utilisée qu'exceptionnellement, ou même jamais.
Pour ces pays, c'est-à-dire pour leurs gouvernements et leurs chanceux
citoyens, la seule option acceptable est un budget en équilibre.
Graphique 9
Source: Eurostat
3) un pays peut osciller
constamment entre un budget en équilibre (pas de déficit) et un déficit ne
dépassant pas 3% de son PIB. Dans ce cas, des budgets en équilibre cessent
d'être une vertu. Cette interprétation est illustrée par le cas ci-dessous,
celui de l'Allemagne:
Graphique 10
Source: Eurostat
4) finalement, un pays peut
"flirter" en permanence avec un déficit de 3%, même dans les années
les plus prospères, en considérant qu'une conjoncture moins favorable pourrait
être tolérée comme "exceptionnelle". La France est un "modèle"
de cette interprétation, comme le montre le graphique suivant.
Graphique 11
Source: Eurostat
Dans la troisième, mais plus encore
dans la quatrième interprétation, toute "circonstance exceptionnelle"
amènerait le pays à dépasser la limite de 3%, considérée comme un but à
atteindre et non une limite à ne pas dépasser.
La liste des principales
interprétations, et les conséquences de chacune de celles-ci sur les pays
concernés, ne comprend pas un certain nombre de cas, limité jusqu'à présent, à
un petit nombre d'États membres de la zone euro. Le cas de l'Irlande (des prévisions
budgétaires en équilibre basées sur des hypothèses excessivement optimistes sur
la permanence de recettes exceptionnelles, suivies par des budgets effectifs
gravement déséquilibrés lorsque survient une récession, devait, espérait-on,
rester une exception.
Graphique 12
Source: Eurostat
Le résultat d'interprétations aussi
différentes de règles imprécises est une discipline budgétaire de la totalité
de la zone euro qui n'est pas meilleure que la moyenne constatée pour les pires
contrevenants ou les gouvernements les plus laxistes.
Dans une première étape, entre la
signature du Traité de Maastricht et l'introduction de la monnaie commune, les
efforts (réels ou simulés) réalisés par les pays candidats, ont ramené le
déficit de la zone à zéro. Ensuite, une période de relâchement a provoqué une
vague de déficits, ramenés à zéro au cours d'un cycle de sept ans. Mais la
crise de 2008 a pris au dépourvu des Etats qui n'avaient plus aucune marge de
manœuvre, et les déficits ont à nouveau explosé.
Graphique 13
Source: Eurostat
Rafistoler les bouées sur une épave
Les principes de
"convergence", qui avaient pour but d'assurer la "stabilité et
la croissance", n'ont apporté ni l'une ni l'autre. Les performances
décevantes de l'Europe en termes de croissance ne sont dues qu'en partie à la
crise qui a débuté en 2008. Avant celle-ci, le taux de croissance de l'Europe
était déjà bien inférieur à celui des autres économies majeures, y compris de
celle des Etats-Unis. Dans la quasi-totalité des analyses comparatives, le
poids de plus en plus lourd des appareils d'Etat dans la plupart des pays est
souvent pointé du doigt comme étant la cause principale du déclin européen.
Bien sûr, d'autres causes, comme le vieillissement, une faible natalité, un
rapport coûts/bénéfices défavorable de l'immigration et de l'immigration de
seconde génération, des dépenses sociales financées par l'impôt et non par les
contributions volontaires des bénéficiaires, ont également contribué au déclin
européen.
Des pays avec des déficits budgétaires annuels "excessifs" (tout déficit n'est-il pas, par définition, "excessif"?) et leur résultante, à savoir des niveaux élevés de dette publique accumulée, comptaient encore sur une croissance hypothétique pour pouvoir payer les intérêts de cette dette (sans jamais la rembourser), et pour continuer à siphonner les marchés financiers. La crise n'a fait que révéler l'évidence, à savoir que la situation était devenue intenable pour un certain nombre de pays. Pour ceux qui appartenaient à la zone euro, les gouvernements ont jugé, après quelque hésitation, qu'un premier "sauvetage" devait être organisé pour les pays qui disposaient encore d'un minimum de crédit auprès des marchés. En Allemagne, que les pays dépensiers considéraient comme le "trésorier" de la zone, des voix se firent entendre pour mettre en cause la constitutionalité et même l'éthique d'un procédé qui consistait à contraindre les contribuables d'un pays à payer pour les conséquences d'une mauvaise gouvernance, de gaspillage, et de modes de vie extravagants dans un autre État.
La Grèce a été la première à déclencher
l'alarme lorsqu'il est devenu évident que le pays, inclus à la dernière minute
dans la zone euro, accumulait une série de graves déséquilibres structurels,
dont certains avaient été "occultés" pendant la phase de convergence.
Un outil a été hâtivement bricolé pour faire face ne serait-ce qu'aux problèmes les plus pressants. Le Fonds Européen de Stabilité Financière ("FESF"), d'abord imaginé pour mutualiser une partie de la dette grecque, était créé, à l'origine comme instrument provisoire. Le fonds a été ensuite sollicité pour venir en aide à d'autres pays, et collectiviser la dette de ceux-ci.
Les marchés peuvent s'accommoder de
l'incertitude, mais les prix doivent refléter le degré d'insécurité. Dans le
cas des emprunts émis par les États souverains, le prix de l'incertitude est
compris dans le taux d'intérêt, et de très grandes disparités sont rapidement
apparues entre les "Bunds" allemands et les emprunts grecs ou
irlandais.
Le spectre d'un pays de l'euro zone qui
viendrait à renier tout ou partie de sa dette souveraine, ou imposant un
rééchelonnement de sa dette, n'est plus simplement une possibilité théorique.
Mis à part quelques "fonds vautours", les marchés appréhendent un
traitement désordonné des créances, au cas par cas, et où l'emprunteur
imposerait ses conditions. Tous espèrent qu'aucun pays européen ne se
comportera comme l'Argentine, qui a répudié unilatéralement toutes ses
obligations, en principal et en intérêts, et qui a continué ses politiques
économiques aberrantes, tout en créant des circuits souterrains pour son
commerce international et l'accumulation de réserves occultes.
Néanmoins, un besoin se fait sentir
pour un mécanisme de résolution des conflits, qui soit accepté à l'avance par
toutes les parties, mais qui n'augmenterait pas l'incitation à fournir des
fonds à des États impécunieux qui n'auraient pas sans cela accès aux marchés,
ou qui auraient à payer un taux d'intérêt plus élevé pour leurs émissions. En
d'autres mots, ce mécanisme ne peut pas permettre à des pays prodigues de
poursuivre des politiques dispendieuses.
Le problème ne réside pas dans
l'appartenance d'un pays en difficulté à la zone euro. Après tout dans un même
pays, disposant d'une même monnaie, des entreprises tombent en faillite tandis
que d'autres continent à emprunter sans aucune difficulté. Dans le cas d'un
État en cessation de paiement, le problème est à la fois pratique et juridique:
alors que la force - ou la menace de la force - peut être utilisée contre un
individu ou une entreprise, la violence ne peut être utilisée contre un pays,
et ses avoirs ne peuvent habituellement être saisis et vendus: comment les
créditeurs de la Grèce pourraient-ils mettre le Parthénon aux enchères?
Mais les propositions abondent. Elles appartiennent en
gros à deux catégories. La première prolongerait l'agonie en poursuivant la
transfusion d'épargne saine de pays "vertueux", pour permettre à la
gabegie de continuer dans des pays de l'euro-zone en déficit budgétaire
quasi-permanent. La seconde reconnaîtrait l'évidence, et mettrait un terme à la
souffrance et à la misère.
Examinons d'abord la proposition de communautarisation
des dettes souveraines, et donc la mise en commun des ressources fiscales (en
fait la ponction permanente des contribuables allemands pour permettre aux
gouvernements sudistes d'être réélus en évitant de réformer les bureaucraties
pléthoriques et l'hémorragie des programmes sociaux. Que ces transfusions se
fassent par des transferts directs, par des mécanismes tels que le FESF, ou par
l'émission d'Eurobonds, importe peu pour le raisonnement.
L'origine des dettes
La mutualisation des dettes repose
essentiellement sur deux instruments: un véhicule financier pour la mise en
commun des engagements, et une juridiction pour la résolution des conflits. Le
premier pourrait être le FESF, les Eurobonds, ou des mécanismes de transferts
plus primitifs, du type de la PAC. Le second serait une nouvelle chambre de la
Cour Européenne de Justice, à qui seraient confiées les procédures de
rééchelonnement et de remise de dettes souveraines [7].
Comme nous l'avons vu, le niveau des
dettes souveraines a été atteint par l'addition de déficits budgétaire annuels,
générés eux-mêmes par des dépenses excessives, dont la plus large part consiste
en salaires et autres avantages pour des "serviteurs de l'État", à
savoir des salariés bénéficient de contrats d'emploi exemptés de la législation
ordinaire, et qui sont employés par l'État central et toutes les subdivisions
de celui-ci, les municipalités, les sociétés publiques, et la myriade d'autres
entités contrôlées par l'État.
Lorsque le niveau des dettes accumulées
devient insoutenable, le choix éthique devrait être de réduire les engagements
de l'Etat envers ses salariés, ce qui permettrait au niveau de la dette de
baisser bien plus rapidement que par un rééchelonnement ou un défaut de
paiement. Après tout, toute personne qui a vécu au-dessus de ses moyens, et ne
peut plus assumer son train de vie, commence par se défaire de ses
"serviteurs".
Par contre, lorsque l'État continue à
payer des salaires, des retraites, des avantages extravagants à ses propres
employés, et, pour cela, augmente la pression fiscale sur les autres citoyens,
ou refuse d'honorer ses engagements à l'égard de ses créanciers, ne peut
raisonnement être considéré comme "éthique". Si un tribunal devait
approuver ce pillage, et permettre ainsi à cet État de poursuivre la dilapidation
des revenus et des biens de ses citoyens, ses jugements seraient une insulte à
l'idée même de justice.
La dérive de l'Argentine depuis dix ans
est un excellent exemple de l'impuissance de juridictions face à la
détermination d'un gouvernement de refuser d'honorer ses engagements. Cette
débâcle d'un pays qui fut au début du 20ème siècle l'un des plus riches du
monde n'est que le résultat d'une mauvaise gouvernance par les puissances
politiques, et ce depuis de longues années. Les richesses considérables du
pays, et son potentiel plus grand encore ont été systématiquement et sciemment
dilapidés dans la poursuite de buts politiques [8].
Lorsque l'Argentine a fait défaut fin
2001, elle avait poursuivi des politiques économiques et sociales chaotiques,
dans une confusion totale (trois chefs d'état se sont succédés en l'espace
d'une semaine). Aucun tribunal extérieur n'aurait pu empêcher cette débâcle,
d'autant qu'une partie de la dette argentine était détenue par d'autres états
souverains.
Au cours des dix dernières années,
l'Argentine a refusé d'accepter toute responsabilité pour ce "déclin sans
équivalent". Elle a également refusé tout règlement définitif des
arriérés, tout en accumulant des réserves, et en déclarant une augmentation de
son PIB de 7% (l'Office des Statistiques, organisme officiel, embellissant les
comptes pour minimiser l'inflation, le PIB réel est sujet à caution). Pour
poursuivre ses politiques, le pays est contraint d'emprunter au Venezuela, à un
taux de 15%, très largement supérieur à ce que le pays aurait payé s'il avait
été géré comme, par exemple, son voisin le Chili.
Un tribunal souverain ou un instrument des États
La plupart des propositions de
règlement de la crise européenne, et du ralentissement de son naufrage, sont
viciées par l'illusion que les États respecteront les engagements qu'ils
prennent pour obtenir de l'aide, et qu'ils se plieront aux sanctions que
prononcerait un "tribunal" placé au-dessus des Etats souverains.
Mais ces "souverainetés" sont
évidemment, comme on l'a vu à plusieurs reprises, au mieux une contradiction [9], au pire une illusion. Des
"souverainetés" concurrentes rendent le mécanisme inopérant. Il est
impossible par exemple de concilier la souveraineté de l'État
"transgresseur" (qui dispose malgré tout du monopole de la force) et
celle du tribunal qui jugerait une dette "excessive". Cette
impossibilité est d'ailleurs apparue presque immédiatement après l'introduction
de l'euro, lorsque la France, et l'Allemagne elle-même, ont transgressé les
limites du Traité de Maastricht, et que ces deux pays ont contraint la
Commission Européenne à battre en retraite lorsqu'elle a tenté d'imposer des
sanctions, c'est-à-dire d'appliquer des règles que les deux Etats avaient
pourtant acceptées.
Les plus farouches adversaires de la discipline
budgétaire (qui vont de l'extrême droite à l'extrême gauche) s'indignent qu'un
gouvernement soit placé sous tutelle, arguant du fait que ce serait la négation
de la démocratie (ici, c'est le peuple qui est "souverain"). Mais,
comme l'a amplement démontré Hayek, c'est précisément la forme
"illimitée" de la démocratie qui a encouragé les gouvernements à
distribuer faveurs, emplois, assistance, pour acheter un nombre suffisant de
votes, dans le seul but de conserver ou de s'emparer du pouvoir.
C'est cette "démocratie
illimitée", une perversion de la démocratie, qui provoque l'apparition des
déficits, et qui empêche de réduire les dépenses publiques lorsque les revenus
baissent. C'est donc l'achat de votes par les gouvernements, et la vente de
votes par les électeurs qui ont créé les déficits. Les scénarios diffèrent
selon les pays, mais le résultat final est toujours le même:
·
une évasion fiscale massive de la part des citoyens cherchant à se protéger
de la prédation de l'Etat, des bénéfices sociaux grotesques accordés aux
fonctionnaires, des allocations sociales "inventives" distribuées à
une multitude de catégories d'électeurs [10];
· la création d'emplois grâce à une taxation artificiellement basse des bénéfices des sociétés (le cas de l'Irlande);
· la réduction de la production tout en maintenant les salaires et donc la consommation (la France et sa semaine des 35 heures):
· la multiplication des niveaux de gouvernement au détriment de l'efficacité et de la maîtrise des dépenses totales (la Belgique et l'Espagne);
· l'utilisation de taux d'intérêts artificiellement bas dans le but de favoriser une bulle dans des secteurs exigeants en capital (l'Espagne et son secteur immobilier);
Toute institution chargée de juger et condamner un Etat prodigue rencontrera deux difficultés. La première sera de récolter, interpréter, et analyser de manière critique des quantités importantes de données. La seconde sera de faire respecter ses décisions.
Quelle sera la fiabilité de
l'information récoltée par une telle institution? Les données sont évidemment
fournies en grande partie par le pays lui-même, et donc sujettes à caution [11]. Elle seront évidemment contestées par le pays
lui-même. Lorsque les décisions du "tribunal" sont prises sur base de
prévisions, comment contester les hypothèses de départ, qui ne sont que des
estimations? Si la réalité diffère ensuite des prévisions, quelle serait la
contrainte d'une décision antérieure? Comment discipliner un gouvernement qui
continue à dépenser et emprunter, si ce n'est en pénalisant les citoyens (et
non le gouvernement responsable)? Quelle serait la réaction d'un tribunal face
à une situation d'urgence dans un pays (catastrophe naturelle, coup d'Etat,
conflit armé, ...)? Quelle serait la force d'une décision lorsque le pays
"délinquant" est le plus important de la zone euro?
Même dans le cas où le
"tribunal" parviendrait à prendre une décision, la première question
serait de savoir qui serait chargé de son exécution (rappelons que les Etats
individuels disposent toujours du monopole de la force). Si des pénalités
(prévues par le Traité) sont exigées, leur montant deviendra l'objet de
marchandages. ces pénalités seraient nécessairement payées par les citoyens,
qui ne sont pas responsables des erreurs et des excès de leurs bureaucraties
(et en seraient même les premières victimes). Les Traités sont muets sur les
bénéficiaires de ces pénalités, mais il est permis de supposer qu'elles
seraient conservées par les administrations européennes [12]. Même appliquées, les décisions du "tribunal" ne
résolvent en aucune façon les problèmes structurels qui ont provoqué le
déficit, et qui contribueront à la prochaine crise.
Enfin, la situation de chaque pays
reste spécifique, et différente des autres. Les éléments à prendre en
considération (et qu'un Etat ne manquerait pas de faire valoir) seraient la
pyramide des âges, les flux commerciaux, la part de la propriété aux mains de
l'Etat, le calendrier des élections, le niveau et la distribution des revenus,
le taux d'épargne, la part de l'épargne nationale dans la dette publique,
l'échéancier de cette dette, la part des retraites non provisionnées, etc...
Plutôt que d'exiger le respect des
Traités, les institutions européennes ont préféré jusqu'à présent une solution
de facilité, qui consiste à accorder une assistance financière aux pays
insolvables. En l'absence de mécanisme fédéral de prédation et de redistribution
par l'impôt, cette "solution" permet de reporter l'échéance, tout en
aggravant le problème. Les contribuables d'un pays "donneur" sont
devenus incapables de distinguer entre les taxes et les emprunts de leur propre
Etat qui seraient utilisés pour leurs propres besoins et ceux qui seraient
détournés pour soulager les contribuables des pays "receveurs".
C'est le laxisme irresponsable des
bureaucraties étatiques qui a permis aux banques d'un Etat déterminé de
considérer comme identique le risque pris sur tous les Etats de l'OCDE.
Auparavant, et pour des raisons évidentes, seules les créances des banques sur
leur propre Etat étaient considérées comme "sûres" et ne nécessitant
pas l'affectation de fonds propres additionnels. L'intégration des marchés
européens, et donc la possibilité pour un Etat de siphonner l'épargne d'autres
Etats, était vantée comme l'un des avantages de la monnaie commune.
Aujourd'hui, le seul résultat de cette
intégration a été de permettre à des Etats prodigues de financer leur propre
consommation au détriment des investissements par le secteur privé dans
d'autres Etats. Le processus productif s'est donc détérioré dans toute la zone
euro.
Se mettre d'accord sur un cadre
juridique commun pour la résolution des crises n'implique pas nécessairement
que certains Etats acceptent de prendre en charge le budget de fonctionnement
d'autres Etats plus prodigues. Ceci impliquerait en effet qu'un gouvernement
accepterait de prendre l'énorme risque politique qui consisterait à contraindre
ses propres citoyens (par une augmentation immédiate de leur charge fiscale, ou
par un accroissement de la dette publique, donc des impôts futurs), de payer
les bénéfices sociaux et les emplois publics dont un autre gouvernement arrose
ses propres citoyens.
Les "prêteurs" verraient leur
charge fiscale augmenter sans être capables de modifier les politiques
dispendieuses des "emprunteurs". Cela équivaudrait à une
"taxation sans représentation", donc à la négation même de la démocratie.
C'est ce que recherchent les gouvernements des pays mal gérés, afin d'éviter ou
de reporter les ajustements nécessaires.
Les sorties de secours
Depuis le début de la crise, en 2008,
l'Europe n'a cessé d'appliquer des recettes exigeant toujours plus d'Etat, en
protégeant les Etats faillis et en contraignant les Etats bien gérés à
augmenter leur charge fiscale. Maintien des dépenses dans les premiers,
augmentation des recettes dans les seconds. Ceci n'a abouti qu'à des
"solutions" provisoires, qui ne réussissaient pas à corriger les
déséquilibres fondamentaux, et donc aggravaient la crise.
Des solutions existent pourtant. Elles ne sont cependant compatibles ni avec un démarchage électoral, ni avec une routine bureaucratique, et seraient donc suicidaires pour les politiciens qui les mettraient en place. Peu de politiciens ont fait carrière en promettant du "sang, de la sueur et des larmes" au lieu du "raser gratis" traditionnel.
Mais nous donnons néanmoins quelques suggestions.
1. Renforcer et clarifier les règles
Ainsi que l'on pouvait s'y attendre de
la part d'Etats uniquement préoccupés de préserver leur
"souveraineté", c'est-à-dire leur pouvoir exclusif de taxer et voler
leurs citoyens, les règles concernant des "déficits excessifs"
incluses dans les Traités, et bien qu'elles aient déjà été très vagues furent
définies comme si elles devaient être enfreintes dès le début.
Aujourd'hui, des institutions qui n'ont d'objectif que l'intérêt des Etats et qui n'ont que mépris pour l'intérêt des citoyens, proposent plus de règles, et plus d'institutions publiques. Mais les règles n'étaient pas "insuffisantes". Elles étaient, au contraire, mal conçues et vagues, ce qui les livraient à l'interprétation et les rendaient donc inutilisables. Pire, elles donnaient l'illusion - dangereuse - parce qu'elles existaient, qu'elles éviteraient la crise alors qu'elles y contribuaient.
Ajouter aux règles existantes est donc
inutile et même nuisible. Il faut au contraire renforcer et clarifier celles
qui existent. Prenant l'exemple du ratio entre déficit budgétaire et PIB
(maximum 3%), les règles existantes devraient être clarifiées:
a) la confusion entre
"prévue" et "actuelle" devrait être éliminée: la tolérance
de 3% devrait s'appliquait au déficit effectif, et ne pourrait être provoqué
que par des circonstances exceptionnelles (elles aussi à définir avec
précision). Pour ce qui concerne les "prévisions" budgétaires, aucun
déficit ne devrait être toléré.
b) tous les engagements pris par un
Etat (en particulier les promesses faites en ce qui concerne les retraites, non
provisionnées dans le cas des employés du secteur public), devraient être
inclus dans la dette, pour leur valeur actuarielle. Ceci est déjà le cas dans
les pays "nordistes" (par exemple les Pays-Bas), à l'inverse des pays
"sudistes" (par exemple la France, où moins de 5% de la valeur
actualisée est provisionnée). Ceci rend les comparaisons difficiles, en
camouflant une grande partie des obligations de certains Etats.
c) le principe des
"pénalités" impose aux citoyens une double peine: ce sont eux, et non
les gouvernements responsables, qui auront finalement à payer ces pénalités. Il
est absurde et injuste de pénaliser les victimes (les contribuables), et non
ceux qui ont commis les infractions (un secteur public obèse et des bénéfices
sociaux exorbitants). Une pénalité ne réduit pas le déficit, elle l'accroît. La
meilleure manière de réduire les déficits serait donc d'enjoindre aux banques
centrales de refuser de refinancer des banques en acceptant comme collatéral
des emprunts publics: seuls des créances sur les entreprises privées seraient
acceptées en garantie. Les banques ne pourraient souscrire à de nouvelles
émissions d'emprunts publics: il suffirait pour cela de relever les exigences
en capital au niveau de celles appliquées pour les créances les plus risquées.
Dans la mesure où la dette publique sert à financer les salaires des
fonctionnaires (donc la consommation) alors que les emprunts privés à long
terme servent à financer des investissements productifs (on peut l'espérer!),
on peut ainsi orienter l'épargne vers l'investissement plutôt que la
dilapidation.
d) une distinction fondamentale devrait
être faite entre les déficits financés par l'emprunt extérieur et ceux qui sont
financés par l'épargne nationale. Le Japon, par exemple, avec un ratio
dette/PIB de 200%, n'a aucune difficulté à emprunter auprès de ses propres
citoyens. Lorsque cette épargne se tarira (suite à la dépopulation), une nation
de retraités devra s'ajuster à l'implosion sans le soutien d'investisseurs
étrangers (s'il est encore permis de parler d' "investissement").
e) il y a une tendance à distinguer
entre la dette et les déficits concernant les budgets dits "de
fonctionnement" et ceux dits "d'investissement". Cette
distinction n'a que peu de signification: l'expérience démontre que les
investissements publics sont rarement productifs, et que leur seul effet est
donc d'alimenter l'inflation. Trop souvent, également, les
"investissements" publics remplacent simplement des infrastructures
vieillissantes. Enfin, comme dans le cas des autoroutes à péages
(particulièrement françaises), la "rentabilité" de l'investissement
ne profite pas aux citoyens, mais est détournée vers le budget courant de
l'Etat.
2. Purger les systèmes financiers
Les États ont placé leurs banques en
soins intensifs, effectuant des transfusions de plus en plus importantes de
ressources aussitôt disparues. Les problèmes n'ont donc jamais été résolus,
d'autant que les injections de moyens étaient d'autant à la mesure de
l'hémorragie. Dans la plupart des cas, les États sont devenus des actionnaires,
ont garanti des lignes de crédit, ou accordé des aides directes. Peu de banques ainsi assistées ont réussi à
se libérer de cette emprise de l'État, et ce serait une grave erreur d'imaginer
que des groupes d'investisseurs privés puissent un jour débarrasser les États
d'institutions qui ne retrouveront jamais solvabilité et rentabilité.
Dans certains cas, l'Etat ou des entités publiques sont à la fois actionnaires, garants, créanciers et débiteurs. Il en est ainsi pour Dexia, une banque franco-belge qui a les municipalités pour actionnaires et principaux emprunteurs. Fermer la banque aurait fermé l'accès au crédit de villes et communes au bord de la faillite. Mais la garantie de l'Etat devra un jour être retirée (la part belge a atteint 50% du PIB), ce qui compromet le financement des villes dans le futur. Les entités belge et française, à nouveau séparées, doivent de plus se libérer d'un nouvel actionnaire (l'État, qui s'est substitué aux municipalités) qui continue à dicter la politique de la banque.
Les gouvernements ont, jusqu'à présent,
soigneusement évité le recours aux solutions douloureuses, mais celles-ci
devront nécessairement être appliquées, et le plus tôt sera le mieux, s'il
n'est déjà trop tard. La solution de l'injection monétaire, consistant à
émettre de la monnaie au-delà des besoins de l'économie réelle, et à maintenir
les taux d'intérêt artificiellement bas, et inférieurs à l'inflation, ont
certes prolongé la survie d'institutions déficitaires, mais ces pratiques ne
sont pas extensibles ad vitam aeternam.
Les banques, inondées de monnaie émise par la banque centrale, et dissimulant
leurs insolvabilité derrière des garanties étatiques et des participations
croissantes des Etats à leur capital, n'ont toujours pas repris leur rôle
consistant à financer les entreprises productives: elles choisissent au
contraire de se réfugier dans l'acquisition d'obligations d'Etat.
Ce phénomène a inverti - et perverti -
le rôle essentiel des banques, qui est de transformer une épargne à court terme
en crédits à long terme pour des investissement productifs. A cause de
l'injection monétaire, les banques transforment au contraire l'épargne en
obligations d'Etats dont le seul but est de financer des déficits budgétaires,
donc des dépenses courantes et improductives.
Le danger de contagion des crises
grecque, portugaise, espagnole, italienne, réside essentiellement dans le
volume des obligations de ces Etats que détiennent les banques collectant
l'épargne dans d'autres Etats. Les banques n'ont fait que tirer avantage d'une
réglementation (et donc d'une "régulation" et d'une supervision) qui
classe les dettes souveraines de tous les pays membres de l'OCDE sur un pied
d'égalité en ce qui concerne le risque, et donc l'exigence de fonds propres [13].
Le choix des banques suivait une
certaine logique, compte tenu des nouvelles règles. Ce sont donc les règles qui
n'étaient pas logiques et qui doivent être changées d'urgence. Financer
certains Etats est aujourd'hui beaucoup plus risqué que de financer des
entreprises privées dans son propre Etat. Le premier détruit de la richesse,
alors que le second en crée. Même dans leur propre Etat, la réglementation
devrait être modifiée pour éliminer les distorsions qu'ont introduit les
bureaucraties pour favoriser la vente de leurs obligations aux banques. Gageons
que cette réforme, malgré sa nécessité, n'est pas prête d'être introduite.
Les banques insolvables doivent être se
voir retirer leurs licences, et être fermées sur le champ [14]. Pour ne pas pénaliser les épargnants (qui ont
souvent fait confiance à des banques d'Etat sans être nécessairement informés
de leur mauvaise gouvernance), les comptes des clients peuvent être réouverts
dans d'autres institutions. Les actifs des banques en question sont liquidés ou
vendus. Depuis le début de la crise en 2008, les banques d'Europe continentale
n'ont toujours pas été pénalisées pour leurs erreurs et leurs excès. A moins
d'un changement radical, des institutions ineffectives et insolvables
continueront à mettre tout le système financier en danger.
3. Contraindre les Etats inefficients à se réformer
L'utilisation d'une monnaie commune
n'implique pas que les Etats en faillite doivent être préservés par des
injections permanentes de la part des contribuables d'autres Etats. En effet, à
l'intérieur d'un même Etat, un emprunteur qui fait défaut n'est pas
"sauvé" en contraignant les autres citoyens à payer pour les dettes
du failli.
Un "sauvetage" signifierait
que les contribuables d'un pays donné (par exemple l'Allemagne) seraient
contraints par leur gouvernement à payer les allocations "sociales"
dans un autre pays (par exemple un pays méditerranéen), ou les conséquences
d'une bulle immobilière, ou des programmes de retraite non provisionnés (une
infirmière allemande, qui sera contrainte de travailler jusqu'à 67 ans, paiera
indirectement pour une infirmière française du secteur public, qui travaillera
12 ans de moins et bénéficiera donc de 12 ans de retraite de plus.
Dans le monde des affaires, le
mécanisme de faillite est un moyen de purger le système économique des
entreprises déficitaires (c'est à dire de celles qui détruisent de la richesse
et des ressources)
Dans le cas de pays, d'un autre côté,
on ne peut appeler un pays (dans le sens d'une communauté d'individus) a priori profitable ou déficitaire. Il
faut au préalable analyser l'infinie variété des combinaisons possibles entre
les deux parts antagonistes de ce pays, c'est-à-dire, d'un côté, les individus
constituant la bureaucratie et, de l'autre côté, le secteur privé (les autres
citoyens et les entreprises privées. C'est en fonction des choix qui sont
opérés entre ces options qu'un pays sera plus ou moins bien géré, et produira
plus ou moins de richesses et de bien-être pour ses citoyens. C'est en fonction
de l'option choisie que l'Etat lui-même sera durable ou ne sera pas.
Le communisme, par exemple, ne pouvait
durer. Non pas parce que les pays victimes de l'idéologie socialiste manquaient
de ressources ou qu'ils étaient déficitaires. Le socialisme a échoué parce que
les individus représentant l'Etat, l'ont transformé en une machine destructrice
de richesses, ayant monopolisé toutes les activités économiques, aboli la
propriété privée, et supprimé les motivations individuelles, les talents, et la
connaissance.
Lorsqu'un pays qui connaît de telles
inefficacités structurelles, et est dominé par une administration publique
démesurée, tente de consolider sa dette sans réduire la tendance naturelle à la
spoliation et au gaspillage de l'administration, le nouveau de la dette
restructurée devient à nouveau insoutenable, dès le lendemain de sa
restructuration.
Un exemple intéressant de ces
difficultés est donné par la comparaison entre l'éclatement de deux pays, et
les manières très différentes dont ces divisions ont été (ou sont encore
aujourd'hui) traitées. Le premier exemple est celui de la Tchécoslovaquie,
démembrée en 1993, et qui a produit deux pays parfaitement viables, même s'ils
ont suivi parfois des politiques divergentes.
Le second exemple est celui qu'a fourni
au monde la Belgique, où un parti régionaliste, qui a inscrit la partition dans
son programme politique, a fait obstacle à la formation d'un gouvernement
fédéral, et été la cause du record absolu de vacance de gouvernement dans
l'Histoire. Dans le cas belge, une étude effectuée par un groupe de réflexion
régionaliste estime que la dette souveraine de la Belgique, étant aujourd'hui
de 100% du PIB, évoluerait différemment pour la Nouvelle Flandre et la Nouvelle
Wallonie. La première réussirait à faire ramener sa dette sous le plafond de
60% de son PIB en moins de 13 ans après la scission. La Wallonie par contre
verrait son propre ratio dette/PIB exploser, pour atteindre, sur la même
période, 200%. Il n'est pas nécessaire de souligner que ces projections sont un
argument politique dans la séduction des contribuables flamands, dont l'intérêt
personnel bien compris prévaut évidemment sur des slogans creux de
"solidarité". Transposées au niveau européen, les mêmes motivations
pourraient aisément monter en puissance au niveau national, et même
sub-national, si les exigences légitimes des contribuables en matière de contrôle
des dépenses sont ignorées par les bureaucraties.
4. De bulle en bulle
Certains banquiers centraux, et plus
particulièrement Mr Greenspan, lorsqu'il présidait la Réserve Fédérale
américaine, ont prétendu que les "bulles" ne peuvent être identifiées.
Même si elles pouvaient être reconnues au moment où elles apparaissent, Mr
Greenspan affirmait ne pas être certain qu'une banque centrale puisse faire
quoi que ce soit pour dégonfler ces bulles, ni même qu'il serait lui-même
disposé à intervenir.
Ceci ne justifie en rien que les
banques centrales restent de simples spectatrices lorsque naissent des phases
d'expansion artificielle, initiant ainsi un cycle de croissance artificielle,
suivie d'une récession bien réelle. Ceci est particulièrement vrai lorsque les
bulles trouvent leur origine dans une politique monétaire laxiste, et que
l'expansion dans certains secteurs n'est donc pas compensée par un déclin dans
d'autres. Dans l'exemple des bulles immobilières, où ce secteur a connu, dans
certains pays, une augmentation annuelle de 10% en volume et une hausse des
prix de 10%, alors que le PIB ne croissait que de 2%, il aurait du être évident
pour tous, et en particulier pour les banque centrales, qu'une telle situation
exigeait une correction immédiate.
En Europe, les disparités entre les
marchés de l'immobilier étaient manifestes: certains marchés restaient stables
alors que d'autres explosaient. La valeur de l'immobilier en Allemagne a suivi
en gros l'évolution générale des prix, et sa part dans le PIB est restée
constante. A l'opposé, le prix des logements a explosé en Irlande, en France,
en Espagne, etc. Selon les chiffres publiés par "The Economist", la
valeur "réelle" (c'est-à-dire après ajustement pour l'inflation) de
l'immobilier en Allemagne n'a pas augmenté au cours de la période 1997-2010,
alors que les prix en France augmentaient de 141%. Le PIB de ces deux pays
avait rarement augmenté de plus de 2% au cours de cette même période [16].
Mais les bulles immobilières ne sont
pas les seules spéculations encouragées par des politiques monétaires laxistes.
D'autres graves déséquilibres, puisqu'il sont restés sans autre réponse que la
presse à billets, impliquent que toute prétendue réforme ne sera qu'une courte
pause sur le chemin de la banqueroute des Etats. Derrière des déficits
budgétaires déjà insoutenables se dissimulent d'autres bulles, et notamment des
promesses de retraites basées sur la taxation de travailleurs dans le futur,
plutôt que sur l'accumulation de ressources par les travailleurs actuels. Dans
le cas de la redistribution immédiate des cotisations, l'absence de ressources
implique l'absence d'investissements, et donc la pénurie totale d'emplois dans
e futur, seuls garants des futures retraites. Dans le second case, par contre,
les cotisations réclamées ne sont pas immédiatement consommées, mais investies
dans des entreprises productives.
Ces promesses intenables faites aux
travailleurs d'aujourd'hui sont probablement la pire des bulles auxquelles
auront à faire face les gouvernements prodigues. Pour citer une étude de la
Banque des Règlements Internationaux, sur l'évolution future des dettes
souveraines, "des mesures drastiques sont nécessaires pour maîtriser
l'augmentation rapide des obligations des gouvernements, actuelles et futures, et
pour réduire leurs conséquences négatives sur la croissance à long terme et la
stabilité monétaire [17].
L'étude conclut que les ratios actuels
"dette/PIB" de 60% ou même de 100% sont effectivement des motifs de
préoccupation, mais que les dépenses publiques liées au vieillissement des
populations, lorsque ces dépenses ne sont pas provisionnées, fera exploser ces
ratios à des niveaux de 200% ou même 300%, si aucune mesure n'est prise. Dans
le scénario le plus optimiste, les mesures à prendre pour résoudre la dette
souveraine devraient être appliquées chaque année, et ce pendant les trente
prochaines années.
5. Etats endettés et banqueroutes publiques
Les procédures qui devraient
s'appliquer à la liquidation des dettes des Etats de la zone euro ont parfois
été comparées à celles existant aux Etats-Unis [19].
Mais ces procédures ne s'appliquent qu'aux municipalités. Le terme
"entités gouvernementales" ne s'applique donc pas aux Etats
individuels, que leurs constitutions empêchent de présenter des budgets où les
dépenses seraient supérieures aux recettes [20].
Mais ceci n'empêche nullement des Etats
ou des municipalités de prendre des engagements aujourd'hui, sachant qu'ils
seront dans l'incapacité de tenir ces promesses dans le futur. Les difficultés
de l'état de Californie, par exemple, sont essentiellement dues à la difficulté
de maintenir un budget en équilibre alors que les citoyens ont approuvé dans le
passé des "propositions" exigeant à la fois de nouvelles dépenses
(écoles, routes, services publics, etc...) et d'autres qui limitent la
croissance des revenus fiscaux.
La tentation des états a donc été
grande d'hypothéquer littéralement l'avenir par "des promesses
extravagantes en matière de retraites, de soins de santé, et d'autres avantages
pour un nombre toujours croissant de retraités du service public". Le
gouffre entre ces avantages et les réserves constituées pour faire face à ces
engagements était estimé, déjà en 2010, à mille milliards de dollars [21].
Ces avantages ont été pris en tenaille
entre les promesses hypothéquant les ressources futures et l'injection massive
de monnaie de la Fed, qui a produit un taux d'intérêt réel négatif (inférieur à
l'inflation). Ce taux négatif était bien entendu très largement inférieur aux
projections optimistes des fonds de pension, basées sur des rendements positifs
devenus illusoires. Les retraites et autres avantages ne seront donc payés que
si les services publics qui se les sont accordés recourent à la violence et se
retournent contre les citoyens qu'ils prétendaient servir...
Les auteurs de la constitution
américaine étaient parfaitement conscients du danger qu'il pouvait y avoir à
autoriser les états individuels à créer des déficits ou à émettre leur propre
monnaie. Par l'article premier, section 8, de cette constitution, les états
abandonnent ces pouvoirs à l'Etat fédéral. La section 10 de ce même article
spécifie qu' "aucun état n'émettra de la monnaie ou n'émettra
d'obligations ("bills of credit")".
Lorsque cette constitution a été
rédigée, elle avait pour objectif de consolider une "confédération"
existante (et qui avait démontré ses faiblesses) en une entité
"fédérale". Au moment de cette "consolidation", les états
avaient des dettes en cours (principalement émises afin de financer la guerre
d'indépendance), et ces dettes ont été rachetées ("assumées") par
l'Etat fédéral. Rien ne semble empêcher l'Europe d'appliquer le même principe,
à condition toutefois que les états individuels, qui devraient l'accepter,
s'interdisent également d'emprunter à l'avenir (et que des mesures efficaces en
assurent le respect).
Malheureusement (ou heureusement?), il
n'existe aucune institution supra-nationale qui disposât à la fois de la
crédibilité et de la légitimité nécessaires lui permettant d'emprunter au nom
des pays membres de la zone euro. Le Fonds de Stabilité et le Mécanisme de
Stabilité sont des constructions ad hoc, et des pays comme l'Allemagne n'ont
aucun intérêt à mettre leur propre solvabilité en danger dans le simple but de
permettre à d'autres pays de poursuivre leurs déficits, ni à financer d'autres
services publics que les leurs.
Aucune institution n'aura donc la
surface financière nécessaire pour refinancer ("assumer") le total
des dettes des pays de la zone euro, qui se monte à plus de 8 mille milliard.
d'euros. Au-delà de la crédibilité financière continuera à se poser la question
de la légitimité. Les pays membres de la zone euro ne constituent qu'une partie
seulement du Parlement Européen, lui-même disposant d'une légitimité
démocratique bien inférieure à celle du Congrès des Etats-Unis.
CONCLUSIONS
Les accords de Bâle et les dettes souveraines
La raison principale des soucis des
gouvernements de l'Europe du Nord, de leurs interventions sur les marchés, puis
de la création de "Fonds" et de "Mécanismes" de Stabilité
lorsque plus personne ne put nier que le niveau de la dette publique grecque
était devenue ingérable, fut la crainte d'une contagion affectant l'ensemble du
système bancaire dans la zone euro. Les banques françaises et allemandes, par exemple,
détenaient une part importante des obligations grecques.
Lorsque les banques centrales
maintiennent des taux d'intérêt négatifs (compte tenu de l'inflation), les
banques sont forcées de rechercher d'autres modes de rémunération de leurs
avoirs. Dans un système financier inondé de liquidités par les injections
monétaires massives des banques centrales, les banques "nordistes"
étaient naturellement tentées par les obligations émises par les pays
"périphériques", d'autant que ces dettes, émises par un emprunteur
souverain de l'OCDE, étaient mises sur un pied de stricte égalité avec celles
de leur propre Etat, malgré un risque (donc un rendement) théorique bien
supérieur. De plus, ces obligations leur servaient de collatéral auprès de la
banque centrale pour obtenir encore plus de liquidités.
Il n'est pas inutile de rappeler
l'histoire du traitement prudentiel des dettes souveraines. La tentative de
standardiser et uniformiser le traitement du risque par les institutions
chargées de la supervision des banques a connu diverses phases successives,
sous la houlette du "Comité de Bâle pour la Supervision Bancaire". En
fait, ce Comité, hébergé par la Banque des Règlements Internationaux (BRI),
communément appelée la "banque centrale des banques centrales", n'était
qu'un arrangement informel, dans lequel les banques commerciales elles-mêmes
disposaient d'une influence suffisante pour s'assurer que les mesures proposées
n'affecteraient ni leur rentabilité, ni leur croissance, ni, bien entendu, le
développement de nouveaux instruments - et donc de nouveaux risques -
financiers.
Dans l'accord initial, "Bâle
1", appliqué de 1988 à 2008, les banques s'engageaient à ajuster le niveau
de leurs fonds propres au montant de leurs actifs dits "à risque".
Les obligations émises par des pays membres de l'OCDE (dont sont membres
également le Portugal, l'Italie, la Grèce et l'Espagne [22] se voyaient attribuer une exigence de fonds propres de ...
0%. En d'autres mots, souscrire des milliards de dettes souveraines grecques
(finançant un déficit budgétaire, donc la consommation publique) n'exigeait des
banques aucune augmentation de leurs fonds propres, le risque étant considéré
comme "inexistant". A l'inverse, des banques allemandes prêtant à
leurs propres entreprises pour des investissements productifs devaient
accroître leurs fonds propres de 8% des "risques"...
Le système avait trois défauts
fondamentaux: il a encouragé les banques à stériliser (et même à détruire de
l'épargne) dans les dettes et la consommation publique, tout en privant les
entreprises de moyens indispensables à leur croissance; il a augmenté
artificiellement le poids des pays OCDE les plus "risqués" dans les
portefeuilles des banques (taux plus élevés pour un risque soi-disant
identique); et il a permis aux pays structurellement déficitaires de reporter,
ou d'éviter, les réformes, puisqu'ils pouvaient détourner l'épargne des autres
pays.
La seconde version de "Bâle"
(Bâle 2), dont l'entrée en vigueur coïncida avec le déclenchement de la crise
(2008), avait été âprement négociée avec les banques pendant une longue
période. Il était cependant évident, dès le début des tractations, que la règle
qui imposait un traitement identique pour des risques très divers, devait être
modifiée. Dès le départ, il était admis que la pondération du risque dépendra
d' "appréciations externes" [23]
La cause majeure du déclenchement et de
l'aggravation de la crise a certainement été le traitement bien trop tolérant
des actifs bancaires, et en particulier des dettes souveraines, dans les
accords de Bâle 1 et 2. La seconde raison a été la capacité des banques de
peser sur le débats, et de présenter le capital comme étant le principal - et
même le seul - contrepoids de tous les types de risques sur leurs actifs,
qu'ils soient sur des emprunteurs souverains ou sur des entreprises, qu'ils
soient nationaux ou étrangers, qu'ils portent sur la solvabilité ou sur la
liquidité.
L'accord de Bâle 3, toujours en cours
de négociation, est plus diversifié et plus complexe, mais accorde encore aux
banques une très grande liberté dans l'estimation de leurs actifs, minimise les
questions de liquidité, continue à accorder un traitement préférentiel aux
dettes souveraines, et ne tient aucun compte de l'assurance des dépôts. Mais il
est vrai que le rôle de cet Accord, même s'il est permis de le regretter, n'est
pas de déterminer des règles détaillées pour les autorités en charge de la
supervision.
La zone euro deviendra-t-elle un club de souverains mendiants?
Le Traité de Maastricht a imposé des
règles limitant les déficits publics dans le but de restreindre l'accès de
Etats aux marchés financiers, et donc de maintenir la possibilité pour des
entreprises productives d'accéder à ces marchés. Un certain nombre d'Etats
membres ont accepté (ou fait semblant d'accepter) ces restrictions dans la
période qui a précédé l'introduction de l'euro, afin d'avoir accès aux
avantages d'une monnaie commune.
Ainsi que le constatait l'Institut
Monétaire Européen (IME), précurseur de la BCE, dans son premier Rapport Annuel:
"Aujourd'hui [1995], la plupart
des pays de l'Union Européenne ne rempliraient pas les conditions requises pour
faire partie de l'Union Monétaire; dans la majorité des cas, la raison en
serait leurs situations budgétaires" [24]
Adhérer à un club exige de satisfaire à
certains critères avant d'être admis. Une fois devenu membre, d'autres règles
s'appliquent. Enfreindre ces règles entraîne habituellement l'exclusion du
membre. Toutefois, si les délinquants deviennent la majorité, ce sont les
membres respectueux des règles qui cesseront de soutenir le club et qui
finiront par le quitter, éventuellement dans le but de créer une nouvelle
association plus conforme à leurs intentions.
Ce ne serait pas irréaliste de comparer
la zone euro à un club, et de poser les mêmes questions que celles que
soulèverait n'importe quelle association lorsque l'un de ses membres enfreint
les règles communes.
Le "Pacte de Stabilité et de
Croissance" (PSC), dans ses trois versions successives, avait été imposé
par le sponsor du club, l'Allemagne, qui continue aujourd'hui à s'interroger
sur la légitimité démocratique d'une union monétaire qui impose aux
contribuables, aux entreprises et aux épargnant allemands le coût des
politiques prodigues des pays structurellement déficitaires. Les situations
fiscales déséquilibrées, fustigées par l'IME, ne se sont pas améliorées depuis
le diagnostic de l'IME il y a 17 ans.
Ignorer les faits, permettre aux Etats
"cigales" de vivre aux dépens des Etats "fourmis" économes,
détruire l'épargne pour financer des administrations inefficaces, corrompues ou
superfétatoires est le plus sûr chemin vers la ruine de tous. La création de
"machins" comme le "Fonds" ou le "Mécanisme" de
Stabilité, prolonge ce chemin, accélère la vitesse, mais ne change en rien la
progression vers une catastrophe commune.
Les vues d'un initié de la première heure
Parmi les opinions exprimées au cours
de la période de construction de l'euro, l'une des plus importantes et des
mieux informées a, sans conteste, été celle du responsable, au sein de la
Commission Européenne, pour l'analyse du système monétaire européen et des
politiques économiques nationales et communautaires, et ceci au moment précis
où l'introduction d'une monnaie commune était envisagée. Mr Connolly a écrit un
essai très critique sur les motivations et les compromis dans les coulisses de
ces débats. Son livre a été la cause de son éviction, un peu comme si le
capitaine du Titanic avait viré celui qui aurait signalé - à temps - la
possibilité d'un naufrage.
"La monnaie
unique européenne sera certainement plus faible que le Deutsche Mark [...].
Cela restera vrai même si, comme il semble presque certain, l'Espagne, le
Portugal, la Grèce, l'Italie et probablement l'Irlande, en restent
exclus". [25]
Il est intéressant de constater que
celui qui lance cet avertissement (en 1995!) n'envisage même pas que les pays
qui menacent aujourd'hui la survie de l'économie européenne aient pu même faire
partie de la zone euro. Regroupés dans un acronyme aux consonances peu flatteuses,
formé avec les initiales de leurs noms anglais ("PIGS"), ces pays
ont, depuis douze ans, déstabilisé la monnaie européenne et les marchés
financiers du monde entier. Pire: par la pérennisation du financement de ces
Etats à des taux d'intérêts qui ne reflètent ni le risque plus élevé, ni
l'inflation qu'ils provoquent, ni leur incapacité de générer de la croissance,
les "PIGS" siphonnent l'épargne dans les pays qui respectent les
règles pour la détruire en finançant des déficits publics perpétuels. Détourner
l'épargne des entreprises productives pour la gaspiller en dépenses publiques
improductives a déjà coûté un montant estimé à 20% du PIB total de la zone
euro.
Même le "Système Européen de
Banques Centrales" ("SEBC") et la Banque Centrale Européenne,
créés par le Traité de Maastricht en tant que gardiens de principes et de
pratiques rigoureuses, ont dévié de la ligne qui leur avait été fixés pour
adopter une politique laxiste, en ignorant les règles. Il est vrai qu'une
politique monétaire ne peut pas créer une convergence, mais que c'est au
contraire la politique monétaire qui doit s'adapter à la diversité des
économies. Par exemple, les taux d'intérêt dans une économie irlandaise en
ébullition, ou dans une économie grecque en déficit structurel grave et
permanent, auraient dus être bien plus élevés que dans des pays en phase
récession ou de croissance modérée, ou de surplus budgétaire. Différencier les
taux était possible: c'est le cas dans un même pays, pour des emprunteurs
différents. Malheureusement la BCE a choisi la solution de facilité, avec pour
conséquence que les déséquilibres se sont retrouvés dans le système des
paiements (TARGET) où les banques centrales des pays déficitaires n'apurent
plus leurs comptes alors que des montants considérables sont transférés des
"PIGS" vers les pays du nord.
Lors de la création de la BCE, on a
glosé sur l'insistance de l'Allemagne pour que la nouvelle banque soit calquée
sur le modèle de rigueur de la Deutsche Bundesbank. Mais, comme l'écrivait Mr
Connolly en 1995:
"On peut
faire que la BCE ressemble à la
Bundesbank, mais on ne peut pas, même si on le voulait, faire que l'Europe
ressemble à l'Allemagne."
Malgré les sérieuses fragilités, et les
difficultés additionelles que créait l'admission de pays qui n'étaient pas
inclus dans le plan initial, l'euro, une fois inventé, devait être imposé comme
prévu. Les opinions contraires ne pouvaient être tolérées, comme le soulignait
notre "initié" dans son paragraphe de conclusion:
"Comme pour
toutes les questions concernant l'union monétaire, le rouleau compresseur de la
propagande essaie d'éliminer l'analyse. Car l'analyse ne peut que signifier le
désaccord. Et le désaccord ne peut être toléré"
Il est regrettable que ce soit l'auteur
de cet avertissement qui ait été licencié, et non ceux qui ont utilisé la
propagande pour imposer l'euro et ruiner l'Europe.
Une conclusion inspirée de Hayek
Pour Hayek, permettre aux citoyens et
aux entreprises de commercer, de conclure des contrats ou d'ouvrir des comptes
dans la monnaie d'autres pays de leur choix serait:
"à la fois
préférable et plus pratique que le schéma utopique consistant à introduire une
nouvelle monnaie européenne, qui n'aurait finalement pour résultat que
d'enraciner plus profondément encore la source et la cause de tout le mal, à
savoir le monopole gouvernemental de l'émission et du contrôle de la
monnaie" [26]
Laisser aux individus et aux
entreprises la liberté de choisir la monnaie qu'ils souhaitent utiliser pour
leurs contrats, leurs échanges, leurs investissements, leur épargne, est donc
de loin préférable à la restriction du choix à une seule monnaie commune, et ce
parce que:
"A bien des
égards, une monnaie internationale unique n'est pas meilleure, mais pire,
qu'une monnaie nationale si elle n'est pas mieux gérée."
Quant au FESF, et au projet de le
pérenniser par un "Mécanisme Européen de Stabilité", il ne s'agit de
rien d'autre que d'installer des pompes permettant de siphonner de façon
continue et permanente les ressources des pays "fourmis" afin de
perpétuer le gaspillage et le laxisme budgétaire dans les pays
"cigales". Hayek, u contraire, estimait que:
"l'avantage
d'une autorité internationale devrait être principalement de protéger un pays
membre des mesures nuisibles des autres, et non pas de le forcer à les
rejoindre dans leurs folies" [27]
Hayek aurait donc recommandé aux
citoyens et aux entreprises des pays prodigues d'utiliser le Deutsche Mark pour
commercer et épargner, au lieu de contraindre les allemands à abandonner le
Mark pour l'euro. L'euro ayant été imposé, avec les résultats que chacun peut
aujourd'hui constater, les options pour sortir de l'impasse sont limitées.
Celle qui a été choisie par la BCE est la pire de toutes. Aucune émission de
monnaie n'a jamais créé de croissance. Les largesses faites aux banques n'ont
rien solutionné. L'épargne, donc l'investissement, est massacrée. Les déficits
structurels deviennent permanents. L'innovation ne peut se développer. Le coût
du capital est nul pour les paniers percés, alors que les projets productifs ne
trouvent plus de financement. Essentiellement, l'économie est gelée et la BCE
continue à baisser la température. Le système bancaire ne joue plus son rôle,
parce qu'il n'a jamais été purgé. Le taux d'intérêt ne joue plus son rôle parce
qu'il n'a plus aucune signification.
Une première option théorique, mais à
l'évidence impraticable, serait une sortie des "PIGS" de la zone
euro. Dans cette option, les pays qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas,
équilibrer leurs budgets courants (hors charge de la dette), sortent de l'euro,
rétablissent leur monnaie au cours d'entrée, puis dévaluent [28]. Rien n'empêcherait ces pays de rejoindre ensuite
l'euro, avec une autre parité. Mais bien entendu, cette éventualité est
d'autant plus irréaliste que les pays concernés ne modifieraient en rien leurs
pratiques, et que l'exercice devrait donc être répété régulièrement.
Pour rester réaliste, la meilleure
option pour permettre la survie de l'euro serait non pas de contraindre les
pays les plus faibles (économiquement) de quitter la monnaie commune, mais aux
pays les plus forts de rétablir le Deutsche Mark. L'euro ne serait plus alors
que la monnaie des "PIGS", qui redeviendraient libres de poursuivre
leur politiques économiques, faites de déficits, d'inflation, de dettes et de
dévaluations.
Le vieillissement de la population, qui
révèle les systèmes de retraites par répartition pour ce qu'ils sont, à savoir
des escroqueries pyramidales, a poussé certains pays à constituer des réserves
pour faire face à ces obligations. Ces réserves atteignent aux Pays-Bas un montant
supérieur au PIB; En France, elles ne dépassent pas quelque pourcents du PIB.
Or ces engagements sont réels, et s'ils étaient pris en compte dans le calcul
de la dette, celle-ci viendrait à atteindre 300% du PIB dans certains pays. De
telles différences sont le véritable obstacle au maintien d'une monnaie
commune.
Utiliser les artifices du FESF ou du
MES dans le seul but de permettre à certains pays (c'est-à-dire à certains
gouvernements) de poursuivre leurs politiques dispendieuses (essentiellement
dans le but d'acheter des votes et donc de se maintenir au pouvoir) ou, pour la
BCE, de tenter d'aplanir des cycles économiques qu'elle a elle-même provoqués
et entretenus, ne peuvent être les solutions. Il faut au contraire purger le
système bancaire, permettre au marché de retrouver l'équilibre entre épargne et
investissement, et donc rétablir un coût réaliste du capital, et enfin réduire
drastiquement la dimension des Etats inefficaces et prodigues. Faute de traiter
chaque patient individuellement, il faudra nécessairement appliquer plus tard
des remèdes plus drastiques encore et cette fois dans la panique que provoque
une contagion.
- - - - - -
NOTES
[1] Les signataires du Traité de
Maastricht déclaraient spécifiquement dans leur exposé des motifs que la
création d'une "monnaie unique et stable" devait tout à la fois
"renforcer leurs économies" et "en assurer la convergence".
[2] Le "Traité sur l'Union
Européenne" (dit "Traité de Maastricht") stipule:
1. dans son Article 104(c): "La
Commission surveille l'évolution de la situation budgétaire et du montant de la
dette publique dans les Etats membres en vue de déceler les erreurs manifestes.
Elle examine notamment si la discipline budgétaire a été respectée, et ce sur
base des deux critères ci-après:
(a) [...]
(b) si le rapport entre la dette
publique et le produit intérieur brut dépasse une valeur de référence, à moins
que ce rapport ne diminue suffisamment et s'approche de la valeur de référence
à un rythme satisfaisant.
Le "Protocole sur la procédure
concernant les déficits excessifs" (Article 1) stipule que la valeur de
référence pour le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut
aux prix du marché est 60%.
[3] La Belgique a aujourd'hui, et
depuis longtemps, le taux de spoliation le plus élevé pour un travailleur
célibataire qui oserait mériter un peu plus (2/3) que le salaire moyen ou
au-delà. La France est seconde dans ce "palmarès", mais l'élection en
mai 2012 d'un président fervent dévot de la spoliation fiscale pourrait, pour
une fois, placer la France en tête d'un classement. Les données sont
régulièrement mises à jour et publiées par l'OCDE (http://www.oecd.org).
[4] Le premier paragraphe du
Protocole déjà cité (voir note [2]), la "valeur de référence"
"pour le rapport entre le déficit public prévu ou effectif et le produit
intérieur brut aux prix du marché" est 3%.
[5] Personne ne sait avec certitude
quel est le point de départ, la durée, et l'amplitude d'un cycle économique,
comme le démontre d'ailleurs la crise actuelle (2008- ?)
[6] Le Protocole initial n'a même
pas pu décider si la limite s'appliquerait au déficit prévu ou au déficit effectif.
Comme l'on peut s'y attendre, ceci laisse une marge considérable aux interprétations
et aux marchandages. Voir le "Protocole sur la procédure concernant les
déficits excessifs", dans le "Traité sur l'Union Européenne",
Journal Officiel des Communautés européennes, 29 juillet 1992, N° C 191/84. Il
n'est nul besoin de préciser quelle est l'interprétation des pays enamourés des
déficits.
[7] Des propositions plus détaillées
étaient reprises dans une étude de l'Institut Bruegel, sous le titre "A
European mechanism for sovereign debt crisis resolution", par François
Gianviti, Anne Krueger, Jean Pisani-Ferry, André Sapir et Jürgen von Hagen.
Novembre 2010, www.bruegel.org
[8] Le magazine "The
Economist" titrait un rapport sur le "collapse de l'Argentine"
par un terme éloquent "A déclin sans équivalent" (2 mars 2002)
[9] Cette expression "au-dessus
des Etats souverains" est d'ailleurs une contradiction dans les termes,
puisque la souveraineté est précisément le niveau du dernier recours.
[10] Parmi
la multitude d'exemples grecs, citons: une taxe sur les piscines qui n'est
payée que par 2% des propriétaires concernés; l'octroi d'une prime de
"ponctualité" aux fonctionnaires qui commenceraient à travailler à
l'heure convenue; l'attribution d'une pension aux femmes dont le père décède
avant leur 27ème anniversaire, etc.
[11] Cette
situation est comparable à celle d'un juge d'assises qui baserait son jugement
sur les seules déclarations de l'accusé et sur l'examen, par celui-ci, de la
scène de crime...
[12] Dans
un cas célèbre, la Commission avait obtenu la condamnation d'un géant des
logiciels pour des pratiques monopolistiques. Une pénalité substantielle avait
été obtenue, mais n'a pas servi à indemniser les victimes, pourtant reconnues
comme telles. Les citoyens sont donc doublement victimes.
[13] Avant
cette mesure, passée quasi-inaperçue lorsqu'elle a été proclamée (bien sûr par
les Etats membres eux-mêmes, c'est à dire les premiers intéressés à avoir accès
à un réservoir d'épargne quasi-illimité), seules les obligations émises par son
propre Etat dispensaient une banque de l'obligation de fonds propres (8% du
montant du crédit). Après cette mesure, l'achat d'une obligation de l'Etat grec
par une banque allemande ne requiert pas plus de fonds propres - et n'implique
pas plus de risque - que l'achat du Bund
de son propre Etat.
[14] Un
malheureux raccourci de langage dans les médias parle généralement de
"faillite" d'une banque. En fait, une institution qui souhaite faire
appel à l'épargne publique (une "banque") obtient une licence,
moyennant le respect de conditions bien définies. Si ces conditions ne sont
plus remplies, l'autorité de supervision (qui a accordé la licence) a le droit,
et même l'obligation, de retirer cette licence. Tous les pouvoirs sont retirés
aux instances dirigeantes (actionnaires, administrateurs, etc..) et sont assumés
par une administration provisoire, nommée par le superviseur. L'épargne n'est donc pas nécessairement
affectée, mais il est impératif de retirer la banque du marché financier, pour
éviter toute contagion. L'une des premières décisions des autorités de supervision
en Serbie, après la chute du régime Milosevic a été de fermer les banques
d'Etat qui ne respectaient plus les conditions de leur licence. La Banque
Centrale a considéré - avec raison - que le bien-être de 9.000 employés d'Etat
était moins important que la survie de toute l'économie. Une majorité de ces
ex-fonctionnaires a retrouvé un emploi dans des banques privées nouvellement
créées.
[15] "Manifest voor een
Zelfstandig Vlaanderen in Europa", ("Manifeste pour des Flandres
indépendantes en Europe"), Groupe de réflexion "In de Warande",
2005, page 156.
[16]
"Global House Prices", The Economist, 23 October 2010.
[17] Il est amusant de constater
que, dans le pays le plus prodigue en la matière, les écoliers français
apprennent encore par cœur la fable la plus connue de Jean de La Fontaine,
"La Cigale et la Fourmi". Dans cette comptine, la cigale prend du bon
temps pendant que la fourmi économise pour les mauvais jours. Arrivent les
mauvais jours, la cigale implore la fourmi pour obtenir un prêt. serait-ce une
allégorie pour le "Fonds Européen de Solidarité"?
[18]
Stephen Cecchetti, M.S. Mohanty and Fabrizio Zampolli, "The future of
public debt: prospects and implications", Banque des Règlements
Internationaux, Working Paper 300, March 2010. Disponible sur
http://www.bis.org/publ/work300.htm
[19] voir notamment:
http://www.bruegel.org/publications/publication-detail/publication/446-a-european-mechanism-for-sovereign-debt-crisis-resolution-a-proposal/
[20] Aux Etats-Unis, les Etats
individuels ne peuvent avoir de déficits budgétaires (avec la seule exception
du Vermont).
[21] La citation et l'estimation
sont tirées d'un article intitulé "State-level pensions", publié par
"The Economist" en date du 23 février 2010.
[22] Les initiales du nom anglais de
ces quatre pays ont formé l'acronyme "PIGS" (cochons).
[23] "Dans le cadre de l’approche standardisée du risque de crédit,
les expositions vis-à-vis des divers types de contreparties, telles
qu’emprunteurs souverains, banques et entreprises, seront affectées de
pondérations fondées sur les appréciations d’organismes externes d’évaluation
du crédit" dans "Vue d'ensemble du Nouvel accord de Bâle sur les
fonds propres", Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, Banque des
Règlements Internationaux, Janvier 2001, page 2.
[24] Institut Monétaire Européen,
Premier Rapport Annuel (1994), Avril 1995, page 5 (traduction de l'auteur).
[25]
Bernard Connolly, "The Rotten Heart of Europe - The Dirty War for Europe's
Money", Faber and Faber, London, 1995, réédité en 1996, page 395-400
[26] F.A. Hayek,
"Denationalisation of Money - The Argument Refined", 1976, réédité en
1990 par l' "Institute of Economic Affairs", Londres, page 23-24
[27] Cette citation devrait être gravée
sur la façade du FESF et de son successeur, le MES...
[28] La France ne ferait pas exception:
pour rétablir l'équilibre de sa balance des paiements, une dévaluation de 20% à
25% serait nécessaire. Avant l'introduction de l'euro, la parité FRF-DEM était
modifiée de 2% annuellement en moyenne, soit par une dévaluation du franc, soit
par une réévaluation du mark, soit par une combinaison des deux. Pour la seule
période 2001-2010, ceci correspondrait à une dévaluation de 20%, qui serait
probablement le taux qui rendrait les exportations françaises compétitives à
nouveau - pour un temps...
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