samedi 4 mai 2013

Les banques centrales détruisent-elles l'économie?


La Banque Centrale Européenne est cette institution qui imprime des petits bouts de papier de couleur que nous gardons dans nos portemonnaies. Nous n'avons vraiment pas le choix: nous sommes contraints d'accepter ces vignettes en échange de notre travail, et de les conserver dans ce bref intervalle de temps entre notre travail et le moment où nous échangeons le papier contre le produit du travail des autres.

Cette BCE vient de décider de baisser encore le taux d'intérêt qui rémunérera notre épargne.
Le capital, l'épargne, les investissements, n'ont plus aucune valeur pour la BCE, et doivent donc être détruits.

Personne n'investissait quand son taux était de 0,75%. Il y aura encore moins d'épargne à 0,50%. Et cela pour des raisons que même des enfants, échangeant des jouets dans une cour d'école, peuvent comprendre! [1]

D'abord, les fonds dont la BCE inonde les marchés ne seront pas investis en Europe, où il n'existe plus de projets productifs, tout bénéfice étant capturé par des salaires rendus exorbitants par des charges sociales et des impôts astronomiques, et immédiatement gaspillés dans des administrations obèses et jamais rassasiées. La banque centrale du Japon a maintenu son taux d'intérêt à un niveau proche de zéro depuis une vingtaine d'années. Le seul résultat a été de nourrir une spéculation massive, qui consiste à emprunter en yens, pour miser sur d'autres monnaies (ce que l'on appelle du joli nom de "carry-trade").

Ensuite, les charges et le manque de productivité ont provoqué la plus grande vague de licenciements et de faillites que l'Europe ait jamais connue. Il est peu probable que les banques, qui sont chargées (dans un monde idéal!) de transformer l'épargne en investissements, soient donc plus enclines à prêter à qui que ce soit, et elles le seront d'autant moins que le taux sera bas.

Pour suivre, les économistes de la BCE semblent avoir oublié ce qu'un étudiant en sciences économiques apprend en première année: l'intervention de l'État pour imposer un prix en-dessous du prix d'équilibre augmente la demande, mais diminue l'offre. Pire, dans ce cas précis il n'existe plus d'offre depuis bien longtemps: l'offre de capitaux ne démarrerait qu'à des taux plus élevés. La BCE agit donc dans une zone où son taux d'intérêt n'a plus aucune signification.

Une autre raison est la dépréciation de tous les investissements, qui n'est plus compensée par un taux d'intérêt proche de zéro. Il ne sert donc à rien de prendre un risque non rémunéré: le meilleur investissement n'est plus par l'intermédiaire des banques, ou dans l'investissement industriel, mais dans la spéculation et le jeu. Ce n'est pas le "capitalisme financier", ce monstre sorti de l'imagination malade des collectivistes, qui a provoqué la crise. Bien au contraire, c'est la destruction, par les Etats, de toute rentabilité d'investissements, de toute perspective de croissance, qui a poussé toute l'épargne vers la spéculation.

L'argumentation de la BCE selon laquelle un taux artificiellement bas ou même négatif relancerait la consommation est, au mieux, naïve. L'épargne n'étant qu'une consommation différée, les consommateurs devront au contraire augmenter leur épargne (donc réduire leur consommation présente) afin de préserver leur consommation future. C'est le cas, par exemple, des fonds de retraite: au-delà du flux périodique des contributions déduites des revenus, il devient impératif de combler le manque de revenus sur le capital déjà accumulé. Faute de procéder de cette manière, les fonds de retraite "par capitalisation" connaîtront le sort des fonds de retraite par "répartition" (c'est-à-dire par spoliation des générations futures)...

Les consommateurs savent également, plus ou moins consciemment, qu'un épisode de taux d'intérêts artificiellement bas est généralement suivi d'une forte inflation. Leurs options sont limitées dans ce cas: les plus aisés ont la possibilité d'investir dans des biens physiques, ou dans des monnaies étrangères gérées par des banques centrales compétentes. Les plus modestes n'ont d'autres choix que d'épargner plus encore, en prévision des impôts et des charges supplémentaires que les bureaucraties ne manqueront pas de leur infliger.

La "boîte à outils" de la BCE semble ne contenir que le lourd et épais marteau des taux d'intérêts. C'est toujours ce même instrument, brut et massif, que la BCE manipule sans aucun discernement, alors que les travaux que l'on exige d'elle exigent au contraire précision et doigté. Financer de la même manière la dette de l'Espagne et celle de l'Allemagne n'a aucun sens. Ce serait assimiler une amputation à la scie sur un champ de bataille napoléonien à la chirurgie au laser, robotisée et ultra-précise, des temps modernes. Une fois engagée dans cette voie, la BCE s'est placée elle-même dans une impasse. Mais la voix des Etats faillis est devenue prépondérante au sein de la Banque. Et toute banque dirigée par ses emprunteurs est vouée elle-même à la faillite...

La Banque a privilégié les Etats au détriment des entreprises. Or les Etats assèchent les marchés financiers pour financer de la simple consommation, à savoir le financement de leurs dépenses courantes (et des déficits creusés par des dépenses qu'ils sont devenus incapables de réduire). Ayant à choisir entre leur propre survie et le financement des entreprises productives, les Etats ont choisi: seul compte le maintien du train de vie de leurs bureaucraties et des mignons qu'elles entretiennent pour s'assurer assez de voix à la prochaine élection.

La Banque a maintenu enfin de manière indiscriminée le financement des banques, les isolant de la discipline des marchés, avec la complicité des Etats qui ont transformé en banques publiques les plus mal gérées de ces institutions, au lieu de les restructurer et, le cas échéant, de leur interdire de poursuivre leurs opérations.

Enfin, et sur un plan plus technique, la création du "marché financier unique" devait être rendue possible par la mise en place d'un système de compensation et de règlement des transferts entre banques. Pour rester simple, si la banque A doit (pour compte de ses clients) une somme X à la Banque B, et que B doit le total Y à la banque A, les deux banques peuvent "compenser" ces mouvements et la banque qui doit le montant le plus élevé ne "règlera" que la différence entre X et Y. Ce système fonctionne également pour un grand nombre de banques, seuls les soldes étant "réglés". Mais, si un seul solde n'est pas "réglé", tout le système est en danger: quelles sont en effet les opérations qu'il faut annuler? Dans l'impossibilité de revenir sur une partie seulement des opérations, c'est l'ensemble des transferts qui doit être annulé. Or le système de "compensation et de règlement" du "Système Européen des Banques Centrales" ne fonctionne plus depuis des années: les banques centrales "sudistes" n'ont pas "réglé" leurs soldes aux banques centrales "nordistes", principalement, bien sûr, la Deutsche Bundesbank.

Les créances cumulées, résultant des soldes journaliers non réglés à l'intérieur même du système des banques centrales, a dépassé fin 2012 le montant astronomique de mille milliards d'euros. Ces soldes, qui résultent, il faut le rappeler, de millions de transferts effectués par les clients de banques "sudistes" en faveur de clients de banques "nordistes" (qui sont parfois les mêmes, d'ailleurs!) ne seront jamais honorés, éliminant ainsi plus de 10% de la masse monétaire européenne. Pire, si les banques sudistes restent autorisées à ordonner des transferts qu'elles ne règlent pas, rien n'empêchera de nouveaux déséquilibres d'apparaître... La BCE définit l'accroissement des dettes non réglées à l'intérieur même du système Target2, dont le fonctionnement exige précisément le règlement des soldes, par le nom poétique de "trompette de Target". Ce sont effectivement des trompettes: celle de Jéricho, qui feront s'écrouler tout le système de l'euro.


 
Un ancien membre du Directoire de la Deutsche Bundesbank, qui avait déjà dénoncé dans un livre retentissant que "l'Allemagne s'auto-détruit" a récemment publié un autre réquisitoire, cette fois contre la monnaie européenne ("L'Europe n'a pas besoin de l'euro"). J'irais un pas plus loin: l'euro a déjà détruit l'Europe.
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NOTE

[1] Dans un échange épistolaire fameux, publié dans la Voix du Peuple, entre Pierre-Joseph Proudhon, un anarcho-socialo-utopiste, et Frédéric Bastiat, un économiste et pamphlétaire libéral, les deux hommes se rejoignaient sur un point: lorsque le taux d'intérêt sera tombé à zéro, le socialisme sera réalisé: il ne servira plus à rien ni d'épargner ni d'investir.



1 commentaire:

  1. Article remarquable de par son contenu et sa pédagogie. Ne pensez-vous pas, pour mette une goutte d'optimisme dans ce tableau hélas si noir, que les taux bas peuvent éventuellement encourager des initiatives de type "Private Equity"?

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