vendredi 20 août 2021

Changer le nom d’un parti : tout un programme ?

 

Le président du Mouvement « Réformateur » songe à modifier l’appellation de son parti politique. Souhaitons-lui de profiter de cette opportunité pour s’attaquer à ces milliers de chantiers à l’abandon, et au mal qui ronge la société belge: l’irresponsabilité.

 

Je lui ai envoyé un mot d’encouragement, et quelques suggestions.

 

Bonjour, Monsieur Bouchez,

 

La presse nous apprend («La Libre» du 18 août) que vous envisagiez de «rebaptiser» le Mouvement Réformateur que vous présidez.

 

Effectivement, un «mouvement» qui n’a rien fait bouger et un parti «réformateur» dont on peinerait à nommer les réformes a un grand besoin de changer de nom.

 

Mais un changement d’étiquette ne modifie pas le contenu. Témoin le Congo, rebaptisé Zaïre et redevenu Congo, et où les citoyens sont plus pauvres aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 1960.

 

Plus sérieusement, la Belgique, si elle veut avoir une chance de fêter son bicentenaire, a un urgent besoin de vraies réformes. De celles qui nécessitent de l’intelligence pour les envisager, du courage pour les appliquer, du charisme pour les proposer à la population, de la combativité pour défier les partis qui profitent du déclin, et une honnêteté manifeste pour obtenir la confiance et l’assentiment des citoyens.

 

Des centaines de réformes, toutes plus douloureuses les unes que les autres, sont devenues, après des années d’inaction, une question de survie, dans un pays en soins palliatifs.

 

Je n’en ferai pas la liste, et je n’en évoquerai que quatre, afin de donner la mesure de l’ampleur de la tâche, et de la férocité des résistances auxquelles il faut s’attendre de la part des bénéficiaires du pourrissement actuel.

 

1) La première est l’application du code du travail général aux fonctionnaires, et la privatisation de tous les secteurs qui ne ressortent pas de la responsabilité régalienne. Actuellement règne dans l’administration une irresponsabilité générale qui tourne parfois à la bouffonnerie. La revue très respectée «The Economist», dans un article consacré à notre pays, titré «Pourquoi la Belgique est si bizarre» («Why Belgium is so odd», 26 juin 2021), nous qualifiait de «pays quantique». Ce que la revue définissait comme un pays dans lequel les fonctionnaires pouvaient prendre, au même moment, deux décisions contradictoires. Cela m’est arrivé tellement de fois que j’ai renoncé à compter. Et cela est sûrement arrivé à tous les citoyens de ce pays, à de multiples reprises.

 

Etant inamovibles (donc irresponsables), anonymes (ils refusent généralement de donner leur nom), ils donnent l’impression aux citoyens de traiter avec une masse informe et incohérente, une «force obscure». Avec, de plus, la principale caractéristique de tout belge, pointée par «The Economist», le je-m’en-foutisme («carelessness»), exacerbé par l’anonymat et l’inamovibilité.

 

2) Le deuxième exemple de réforme est le financement des partis politiques. Actuellement, les partis sont financés par le nombre de voix obtenus aux élections. Bien avantageux lorsque le vote est obligatoire. Ce «droit obligatoire», invention bien belge, comme le lapsus d’un journaliste l’a désigné - mais était-ce un lapsus?).

 

Ce genre de financement encourage à exiger toujours plus, particulièrement lorsque l’offre politique est fragmentée. Comme l’a bien démontré Hayek, ceci a abouti à une «démocratie illimitée». Système pervers où l’alternance (pourtant essence et «conditio sine qua non» de la démocratie) a disparu, et où une majorité, qui exige toujours plus, vit aux crochets d’une minorité qui se rétrécit (par l’exil professionnel, l’optimisation fiscale, ou, tout simplement, le renoncement au combat économique, à l’innovation, au risque et à l’investissement).

 

Dans le classement des démocraties de « The Economist », encore lui, la Belgique est tombée dans la catégorie des « démocraties défaillantes ». Non sans raison.

 

Pour revenir à une vraie démocratie, il faudrait - et il suffirait - que les partis politiques soient financés par une pourcentage fixe des impôts, suivant l’exemple du financement des cultes en Allemagne. Cette part concernerait exclusivement celui des personnes physiques, les «sociétés» et autres constructions fictives n’ayant pas à influencer la vie politique comme elles le font dans le système américain pourri par ces déviances. Le citoyen désignerait dans sa déclaration le (ou les) parti(s) à qui irait sa contribution. Le pourcentage serait fixe, mais son montant fixé entre un minimum (tout le monde doit participer) et un plafond (personne ne peut se prévaloir d’une participation trop importante). Le principe du « one man, one vote », qui nous a mené au « free for all », serait ainsi rectifié par un poids plus important donné aux représentants de ceux qui auront à payer la note d’un libre-service pour tous.

 

3) Le troisième exemple de réformes est la suppression de l’interprétation abusive du code des impôts qui déduit le montant «exonéré» non pas du total des revenus de chacun avant d’appliquer les différents taux d’imposition par tranche, mais qui applique cette «exonération» à la première tranche, rétrécie comme peau de chagrin. Ceci peut apparaître anodin, mais, appliqué à des millions de contribuables, cette méthode réduit massivement le pouvoir d’achat des citoyens les plus modestes et détruit la classe moyenne. Elle aboutit à prélever très rapidement, dès un revenu modeste (autour de 3.000€ bruts mensuels), 50 cents sur chaque euro supplémentaire, ce qui décourage l’effort. Aucun pays, à ma connaissance ne pratique ce subterfuge.

 

Tant qu’à faire, la véritable réforme serait l’instauration d’un impôt à taux unique, sur les revenus dépassant un certain montant. D’autres l’ont fait. Pourquoi pas la Belgique, si elle «réforme» vraiment?

 

4) Enfin, parce que j’habite (encore) Bruxelles, je mentionnerais une quatrième réforme vitale: supprimer la fiction des 19 communes, du «parlottement» bruxellois et du «gouvernement» de la Région. Toutes les capitales d’Etats «fédéraux» (Vienne, Berlin, Washington, La Haye...) ont un seul maire, rémunéré entre 200 mille et 250 mille euros annuels. Pourquoi les Bruxellois doivent-ils consacrer 2 millions par an aux salaires des seuls bourgmestres pour un émiettement dont ils ont à souffrir tous les jours? J’ai été confronté avec quelques-uns de ces bourgmestres. Il n’est pas certain qu’un seul d’entre eux - MR ou autre - soit du calibre du maire de Berlin ou de celui de Vienne...

 

Cette réforme permettrait à Bruxelles d’acquérir un véritable statut, de résister et même, pourquoi pas, de desserrer l’étranglement progressif exercé par l’une des autres Régions, et de renégocier avec les institutions européennes. Renégociation urgente, et demandant un poids que personne n’a pour le moment. Le but serait d’arriver à la situation aux Etats-Unis: les fonctionnaires fédéraux américains paient leurs impôts comme tout citoyen, et l’Etat fédéral (les 50 Etats, pas les seuls deux Etats voisins... ) couvre 40% du budget de la capitale.

 

Voilà donc quatre réformes, parmi des centaines. Elles sont vitales. Mais comme le statu quo est plus vital encore pour ceux qui profitent du délabrement de nos institutions et de l’irresponsabilité générale (le «carelessness» de «The Economist»), rien ne changera.

 

La Belgique fut libérale. C’est à cette époque qu’elle fut aussi l’une des « grandes puissances » de la planète. Le pays a aussi été pionnier dans la construction européenne, dont l’unique objectif était «d’améliorer le niveau de vie et d’emploi» des peuples européens. Pour les six pays «fondateurs», c’est un lamentable échec: depuis 1990, la part des « Six » dans le PIB mondial a chuté de plus de 20% à 10% à peine. La chute du niveau de vie a suivi, et la fuite en avant par l’élargissement ne dissimule plus la réalité.

 

Les quatre réformes évoquées ne sont donc qu’une paille dans la liste des chantiers en friche, au niveau local, régional, national et européen.

 

Mais on peut toujours espérer qu’un jour, peut-être, quelqu’un se mettra en mouvement et nous rendra notre «Liberté Chérie», qu’au fil des «réformes» manquées une «force obscure» et quantique nous a dérobée.

 

Cordialement,

Charles-Louis De Smet