samedi 5 mai 2012

Quatre questions de société

Réponses libérales à quatre questions de société

L'Institut des libertés publie, sous la signature de Thierry Guinhut, un article qui pose la question du traitement qu'il conviendrait de réserver à certains comportements dans une société libérale.

http://institutdeslibertes.org/2012/05/05/de-quelques-libertes-liberales-homosexualite-drogues-prostitution-immigration-en-question/

Si souvent les auteurs libéraux traitent la société comme un ensemble homogène, dans laquelle la confiance de tous envers tous est présupposée, les pratiques "à la marge" ont au moins le mérite de tester la solidité du modèle libéral.

Il est aisé d'être libéral dans un village suisse où tout le monde se connaît, où chacun respecte des règles et des traditions qui n'ont même plus besoin d'être rappelées parce qu'elles sont elles-mêmes héritées de siècles de vie commune. Il est plus difficile de se proclamer libéral lorsque l'on est le dernier locataire "autochtone" d'un immeuble HLM occupé entièrement par des nouveaux arrivants qui, en raison de leur écrasante majorité, ne voient plus aucun intérêt à adopter les comportements, la culture, la religion, ni même la langue, du pays de ce dernier autochtone, et qui ont pourtant fait de son pays (et donc de sa culture, au moins économique) la destination de leurs rêves de bien-être matériel.

L'immigration vue par le libéralisme est le dernier sujet analysé par l'article, qui reconnaît qu'Etat-providence et immigration libre sont difficilement compatibles. Certes, il est difficile de justifier qu'un immigrant puisse, dès son arrivée, prétendre à bénéficier d'un système de secours mutuel construit pour des participants qui ont constitué les réserves par de longues années de cotisations, et donc de privations. Il serait tout aussi inacceptable de contraindre les souscripteurs d'assurances incendie en Europe de payer pour les sinistres survenant en Afrique, et pour lesquels les victimes ne seraient pas elles-mêmes assurées. Très rapidement, les Européens cesseraient de payer leurs primes et la "solidarité par la contrainte" n'aurait pour effet que de généraliser la misère, pas la richesse.

Selon moi, le seul point de vue libéral authentique sur le sujet de l'immigration devrait partir de l'individu isolé. Celui-ci construit un réseau de relations familiales, professionnelles, personnelles, dans une totale liberté. Accepter dans ces différents cercles de nouveaux membres est laissé à sa seule appréciation. Aucun auteur libéral n'a jamais affirmé que quiconque devait accepter un nouvel ami, un nouveau partenaire, simplement parce que l'autre l'exige. Ce qui est vrai au niveau individuel doit l'être également au niveau d'une collectivité. Ce n'est donc pas une simple question de "réciprocité", mais une question beaucoup plus fondamentale, réaffirmant au niveau collectif la liberté totale d'accepter ou de refuser un nouveau venu. Mais qu'en est-il si l'on se place du côté du migrant? De même que je n'ai aucun droit de m'emparer d'un objet appartenant à un autre simplement parce que je le désire ou que j'en ai besoin, je n'ai aucun droit d'entrer dans la maison d'un autre simplement parce que j'en ai envie. Je le dis d'autant plus facilement que j'ai été un immigré toute ma vie, mais toujours "invité payant". Une vue authentiquement libérale de l'immigration serait donc que "nul n'a le droit de pénétrer dans un pays qu'il n'y ait été autorisé, et sans y contribuer au moins à son propre entretien et à celui de ses proches".

Hayek n'écrivait pas autre chose dans "Droit, législation et liberté": "La liberté de migration est l'un des principes - et des plus admirables - du libéralisme. Mais cela doit-il généralement donner à l'étranger le droit de s'établir dans une localité où il n'est pas le bienvenu? A-t-il celui d'obtenir un emploi ou d'acquérir une maison si aucun résident ne consent à lui donner du travail ou à lui vendre un logis? Il est certain qu'il a le droit d'accepter un emploi ou d'acheter une maison si quelqu'un le lui offre. Mais les habitants ont-ils personnellement un devoir d'en offrir?"

Poser la question, c'est y répondre...

Un autre point repris dans l'article cité est celui de la prostitution. Murray Rothbard en faisait état dans son "manifeste libertarien", "For a New Liberty" de 1973. Certes, mais il prenait soin de définir la prostitution comme la "vente volontaire d'un service" ("a voluntary sale of a labor service"). Et c'est là le coeur du problème: cette vente est-elle "volontaire" et comment s'en assurer? Lorsque des étrangères en situation irrégulière sont soumises à un chantage précisément en raison de cette situation, la nature du "service" devient secondaire, et le réseau criminel qui exerce ces pressions doit être traité comme il le mérite.

Le troisième point (traité en premier lieu dans l'article) est la question de l'homosexualité, et le regard que pourrait avoir le libéralisme sur ces préférences, personnelles par définition. Il serait difficile de trouver un auteur qui préconiserait une réprobation de ce qui doit être laissé à l'appréciation de chacun. Mais la manière dont la société doit aborder cette question peut différer. L'auteur de l'article pose les questions sans y répondre ("faut-il?", "serait-ce?", etc...). La question centrale (et celle qui est souvent mise en avant par les homosexuels eux-mêmes) et de savoir si la société doit étendre aux couples de même sexe les avantages jusqu'à présent (oserait-on écrire "depuis toujours") réservés aux couples hétérosexuels. Ces "avantages" vont du traitement préférentiel en matière d'assurances, de logement, d'héritage, etc., l'adoption étant venue s'y ajouter plus récemment. Il s'agit donc bien d'avantages. Qu'en serait-il si la société reconnaissait uniquement l'individu isolé comme le sujet de tous les droits? Un partenaire homosexuel n'aurait alors ni plus ni moins de droits qu'une autre personne. Les droits particuliers attachés à un groupe ayant disparu, il est certain que les revendications n'auraient plus lieu d'être.

Comme l'écrivait Ayn Rand, dans "La Vertu d'égoïsme": "Un groupe, comme tel, n'a pas de droits. En se joignant à un groupe, un homme ne peut acquérir de nouveaux droits ni perdre ceux qu'il possède déjà. Le principe des droits individuels est le seul fondement moral de tout groupe ou association. Un groupe qui ne reconnaît pas ce principe n'est pas une association, mais un gang ou une bande de brigands". Changez le mot "groupe" par "mariage" et vous aurez une réponse "libérale" sur l'homosexualité.

Enfin, "last but not least", l'auteur évoque la question des drogues, et s'interroge sur l'opportunité de libéraliser la vente de drogues, tout en l'intégrant dans des circuits commerciaux "en surface" pour sortir ce commerce des réseaux mafieux souterrains. Certes, cette position est conforme à la philosophie libérale, et elle gagne en crédibilité à mesure que le maintien des interdictions, et la lutte contre tout trafic, se sont avérés incapables d'éradiquer totalement le phénomène, ni même de l'endiguer. Mais un point devrait être élucidé: une société authentiquement libérale ne peut ignorer les effets destructeurs de la plupart des drogues sur leurs utilisateurs. La réponse à apporter à cette destruction n'est pas sans rappeler l'obligation morale, pour tout un chacun, de prêter assistance à une personne en danger. S'il devait être mis en place, un marché libre de la drogue devrait aussi inclure une forme de soins, visant à libérer les utilisateurs de ce qui n'est souvent qu'une servitude et une destruction.

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