Le libéralisme
est aujourd'hui confronté au pourrissement de la démocratie, qui n'est plus
qu'une succession de compromissions entre des groupements d'intérêts aux
ambitions contradictoires, et qui vendent leurs votes pour des intérêts de
castes, sans se soucier des intérêts individuels, dont seule la somme constitue
l'intérêt général. Des fonctionnaires voteront pour ceux qui leur promettent
plus de privilèges et encore moins de travail, des commerçants voteront pour
ceux qui leur font miroiter moins d'impôts et plus de policiers, les chômeurs
voteront pour ceux qui s'engagent à augmenter leurs indemnités en diminuant les
exigences, et ceux qui ont la chance de travailler voteront pour ceux qui
prétendent augmenter leur salaire "net" en imposant la charge des
avantages sociaux aux entrepreneurs.
Faute d'une
refondation totale du fonctionnement de la démocratie, par exemple en
responsabilisant les citoyens, ou en liant le financement des partis aux
revenus de leurs adhérents (et non aux nombres de votes), le libéralisme doit
choisir entre deux voies radicalement différentes. Soit il devient accommodant,
complice, naïf. Soit au contraire il reste ferme sur ses principes, s'oppose à
toute compromission, et demeure résolument critique à l'égard de toute
enfreinte à ses principes, aussi minime soit-elle.
L'attitude à
adopter face à la propriété est une parfaite illustration. Pour les
authentiques libéraux, la propriété individuelle est la base même du
fonctionnement de la communauté, et de la possibilité d'accroître le bien-être
de tous. Sans respect du droit de propriété, il ne peut y avoir de liberté. En
effet, si Paul peut s'emparer de la propriété de Pierre, ou le contraindre à la
partager, il n'y a aucune liberté possible pour Pierre. Ni pour Paul
d'ailleurs, puisque Pierre pourrait parfaitement agir envers lui comme il a agi
lui-même. Et ceci reste vrai même si Pierre et Paul ont "voté" pour
un chef qui, ensuite, répartit les biens selon son bon vouloir.
Mais ce droit de
propriété est d'autant plus bafoué aujourd'hui que l'Etat a choisi de baser une
part de plus en plus grande de ses revenus sur la valeur des propriétés. Ce
sont non seulement les taxes à l'achat et à la vente. Ce sont aussi les
prélèvements sur les plus-values, les taxes foncières et d'habitation, et toute
la collection des prélèvements sur la valeur.
Il ne faut pas
entendre ici que le libéralisme rejette toute taxation destinée à entretenir la
part des infrastructures communes qu'utilise, par exemple, tout occupant d'un
logement. Mais la seule manière justifiable de percevoir la quote-part de ces
frais est, bien évidemment, sur les revenus de l'utilisateur, et certainement
pas sur la valeur de son bien.
On voit
immédiatement la cohérence au centre du libéralisme (et, par comparaison, la
confusion dans les méthodes de taxation pratiquées par les administrations).
Dans les pays où des bulles immobilières ont enflé, puis explosé, les
fonctionnaires ont allégrement encaissé des revenus artificiels au cours de la
période de hausse, jusqu'à l'effondrement total des ventes et des recettes, et
le blocage total du marché. Si l'ensemble des taxes avait été perçues sur les
revenus des citoyens, les recettes des États et des administrations locales
n'auraient que faiblement augmenté dans le temps, ce qui est certainement plus
justifiable d'un point de vue moral (autant qu'économique!) que des revenus
publics dépendant d'effets d'aubaine et d'évaluations artificielles.
Toute
compromission du libéralisme avec les méthodes actuellement pratiquées, dans ce
domaine comme dans tous les autres, aboutit à son affaiblissement. Abandonner
une partie de sa liberté, c'est cesser d'être libre. Un parti authentiquement
libéral, s'il veut faire partie d'un gouvernement, doit absolument imposer
cette évidence. Et donc refuser toute mesure qui n'irait pas dans le sens d'une
élimination des pratiques actuelles, et d'une refondation complète du processus
démocratique.
La France est un
exemple parfait d'une construction de plus en plus complexe, destinée à
dissimuler plus de trente ans de gabegie. Et les conservateurs sont à peine
moins responsables que les socialo-communistes de cette fuite en avant. Pour
les premiers, seul l'État peut décider des secteurs où innover, embaucher,
investir. C'est le "Concorde", le "France", les
"grands travaux", les "entreprises d'État". Pour les
seconds, il suffit de taxer ceux qui réussissent pour que seul l'État ait les
moyens d'embaucher. C'est l'enseignement, les contrôles, les revenus de
remplacement, les emplois "aidés".
Le libéralisme
lutte contre l'un et l'autre, le conservatisme et le collectivisme. Comme
l'écrivait Cécile Philippe, directrice de l'Institut Molinari, dans une Tribune
récente publiée dans Le Figaro ("Fiscalité: l'idéologie à la
manoeuvre", 1er octobre 2013):
"L'État
prend d'une main ce qu'il redonne de l'autre comme si ce passage obligé par la
case "État" sanctifiait le revenu obtenu. Or, c'est justement là que
le bât blesse. La fiscalité et les subventions - loin de glorifier la création
de richesse - suscitent toutes sortes d'effets pervers qu'il est grand temps de
considérer avec sérieux".
Tout cela est
très vrai, et le libéralisme doit défendre, sans compromis aucun, toute
politique qui supprime perceptions et subventions, taxes et aides, impôts et
revenus de remplacement. Or Mme Philippe continue son article en défendant les
niches fiscales. Et ceci sous le prétexte que celles-ci sont "des moyens
octroyés au fil du temps par les pouvoirs publics pour rendre la pression
fiscale et sociale plus supportable".
Tenter de
"justifier" une partie de l'équation "État", c'est défendre
la totalité du système. Citons un exemple belge: une pression fiscale extrême,
qui fait du Royaume surréaliste d'Ubu le détenteur du record mondial des
"prélèvements obligatoires", a amené l'État et ses multiples
déguisements à voler plus de 50% des revenus, même les plus modestes. Ce taux
est en effet appliqué dès 3.000€ mensuels. Offrir en contrepartie de cette
prédation des "chèques-restaurants", ou des "éco-chèques",
ou encore des "voitures de fonction" traités plus "favorablement"
du point de vue fiscal, est une aberration et une hypocrisie. Un voleur qui
cambriolerait toute ma maison, puis viendrait me "rendre" une bricole
sans valeur, reste un criminel. Un vrai libéral exigera à la fois la baisse des
prélèvements et l'élimination des "restitutions" partielles.
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